Nome : l’indépendance de la Guinée

Présenté dans la sélection ACID du Festival de Cannes 2023, Nome, de Sana Na N’Hada, raconte un fait majeur de l’histoire de la Guinée et du Cap-Vert, la lutte contre les armées coloniales portugaises et la difficile victoire entraînant l’indépendance de tout un pays. À partir d’images d’archives, le réalisateur conçoit une magistrale œuvre historique, relatant les espérances d’un jeune homme parti rejoindre les rangs du Parti Africain pour l’Indépendance de la Guinée. À travers le combat de Nome et de tous ceux qui ont connu ce conflit, il évoque ainsi les espoirs de tout un peuple, s’accrochant à un vœu longtemps inaccessible, celui de vivre dans un pays libre. Tout en retraçant fidèlement les événements, ce film de près de deux heures dresse le constat d’une épopée guerrière, une révolution menée par des combattants courageux, une révolte symbolisant la liberté, les changements politiques, mais également les quelques regrets face à une société changée. Nome explore le passé de ce pays africain, identique à beaucoup d’autres nations de ce continent soumis par la suite à de nombreux bouleversements et aux conséquences de la décolonisation.

En Guinée-Bissau, l’ombre d’une guerre plane. Comme bon nombre d’hommes, Nome s’engage dans un affrontement victorieux. Le film raconte une décennie conflictuelle, le contentement, l’optimisme, la stupéfaction.

Grandiose choc esthétique, contenant des images d’une beauté sidérante, valorisant les superbes paysages des contrées guinéennes, Nome pose immédiatement son récit dans un petit village où les prémices de la rébellion germent dans les esprits.  Sana Na N’Hada entame sa fresque en filmant ce jeune villageois, Nome, cet homme se muant ensuite en héros de sa nation, prêt à affronter l’ennemi portugais et à sauver la Guinée de l’emprise lusitanienne. Marquant dans son propos, radical dans sa manière de décrire une époque troublée, ce beau film énumère les croyances et les compréhensibles doutes des Guinéens, pris dans une immense volonté de souveraineté et de mutations sociétales importantes.

En filmant un homme valeureux, Sana Na N’Hada décrit par la même occasion l’attachement viscéral pour cette terre, tant aimée par ses compatriotes, une nature vénérée, elle qui représente un aspect capital de la culture africaine

Ce que développe Nome ressemble pratiquement à un manuel d’histoire africaine, avec les effets de la colonisation, les guerres d’indépendance, des peuples révoltés souhaitant une autonomie, les problèmes liés à la décolonisation. Autant de changements géopolitiques espérés, mais tellement révélateurs d’instabilités prégnantes. Ici, ce soulèvement voulu porte un nom, Nome, ce jeune portant sur ses épaules le poids de tout un village apeuré à l’heure d’une guerre s’annonçant longue et meurtrière. La puissance du film nous saisit dès le début, avec le cercueil d’un père, veillé de près par son enfant, des vautours planants au-dessus. La symbolique spirituelle évoque le lien sacré entre les défunts et les vivants, aussi la naissance d’une mentalité guerrière bien déterminée à œuvrer pour le service de la nation, et accéder à la victoire. Construit au cœur d’une luxuriante nature, le village se retrouve ainsi au centre d’un cheminement révolutionnaire, le départ d’une aventure pour ce Nome, quittant les siens pour une autre destinée. Ce choix de modernité, dans une époque contemporaine en progrès, marque les grandes aspirations d’une population voulant connaître la prospérité économique, une profonde avancée changeant à jamais la face d’une Afrique décolonisée. En filmant un homme valeureux, Sana Na N’Hada décrit par la même occasion l’attachement viscéral pour cette terre, tant aimée par ses compatriotes, une nature vénérée, elle qui représente un aspect capital de la culture africaine, avec ses grands arbres verdoyants, sa fonction nourricière, un lieu véhiculant tant de croyances divines, où les esprits des défunts s’accrochent aux branches pour veiller sur les vivants. Ainsi, le film trouve toute sa puissance dans cette belle description d’une communauté attachée aux valeurs naturelles, traditionnelles.

Si Nome ne rentre pas en profondeur dans les détails, il dresse un constat amer sur l’état fragile d’un pays, avec un système scolaire novateur, mais balbutiant

En déroulant son histoire, le réalisateur affine les futurs contours d’un pays nouveau, libre, avec cette guerre causant de nombreux décès, mais pose toutefois la question d’une indépendance aux complications évidentes, dans un pays autonome où pointent douloureusement des situations économiques disparates. À la joie de la victoire succèdent les inquiétudes, malgré des améliorations notables. Néanmoins, l’instabilité permanente provoque des soubresauts politiques, des tentatives de renversements, et des présidents n’allant pas au bout de leurs mandats. Si Nome ne rentre pas en profondeur dans les détails, il dresse un constat amer sur l’état fragile d’un pays, avec un système scolaire novateur, mais balbutiant, survivant modestement. Surtout, les héros de la révolution deviennent des témoins d’une Guinée largement déstabilisée économiquement et politiquement, leurs desseins visionnaires s’effaçant complètement face à des années de précarité.  Sana Na N’Hada filme une ambiguïté, un paradoxe criant entre un passé délicat agissant tristement sur un présent peu facile. Le réalisateur adopte un point de vue réaliste, en ne faisant pas abstraction des facettes sombres d’un pays pauvre. Ainsi, de ce Nome, nous devons retenir la vision personnelle, accablante, touchante, d’un cinéaste ayant vécu tout cela, proposant un devoir de mémoire honorant tout un peuple, mais livrant aussi un témoignage précis relatant la morosité de l’atmosphère guinéenne.

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RÉALISATEUR :    Sana Na N’Hada
NATIONALITÉ : Guinée-Bissau/ France/ Portugal/ Angola
GENRE :  Histoire
DURÉE : 1 h 52
DISTRIBUTION : The Dark 
SORTIE : 13 mars 2024