Noémie dit oui : mais pas vraiment.

Noémie dit oui est une des meilleures surprises de cette année 2023. Un film âpre, singulier, dérangeant, avec quelques éclaircies çà et là, qui condense et synthétise, dans son scénario, plusieurs témoignages de jeunes femmes ayant vécu cette triste et hélas courante réalité au Québec : comme nous le rappelle l’encart à la fin du film, l’entrée en prostitution dans ce pays se fait en moyenne entre l’âge de 14 et 15 ans.

Après s’être enfuie d’un centre de jeunesse, Noémie, 15 ans, se lie, via une amie, avec un groupe de délinquants et tombe amoureuse d’un garçon qui fera prendre à son destin une tournure que l’adolescente n’envisageait pas.

Le film rappelle les meilleurs heures du cinéma indé américain (genre hélas en voie de disparition) et peut aussi faire songer au meilleur des Dardenne, de Ken Loach, de Mike Leigh

Tout d’abord il faut souligner l’incroyable performance de la débutante Kelly Depeault, choisie par la réalisatrice sans essai ni casting. Elle fait une entrée fracassante dans le monde du cinéma et nous rappelle les charismatiques et impressionnants débuts d’une Vanessa Paradis dans Noce Blanche de Brisseau ou d’une Sandrine Bonnaire dans À nos amours de Maurice Pialat – pour ne citer que deux exemples. Si, physiquement, cette très jeune actrice nous rappelle un mélange de Natalie Portman et de Keira Knightley, son tempérament de feu est tout autre et inédit. Elle excelle dans toutes les nuances de son personnage, entre impressionnantes crises de rage et de colères extrêmes, vulnérabilité et désespoir absolus, et miettes de joies enfantines fort touchantes. Les autres jeunes (ou moins jeunes) acteurs sont tout aussi justes, qu’il s’agisse, notamment, de la meilleure amie, de la trop jeune mère qui n’a de mère que le nom, ou de l’ambigu « amoureux » souteneur. Le film rappelle les meilleurs heures du cinéma indé américain (genre hélas en voie de disparition) et peut aussi faire songer au meilleur des Dardenne, de Ken Loach, de Mike Leigh, surtout à leurs débuts.

Cependant, par rapport à une éventuelle influence, la comparaison américaine est plus juste quant à l’esthétique et au propos. La réalisation est unique en son genre sur trois points : un montage qui ose couper abruptement en pleine action ou en plein milieu d’images capitales ou belles, y compris le plan ultime, des idées de réalisation inédites (la séquence du miroir), un affichage graphique en décompte du cumul des passes que subit l’adolescente. Pour un œil rompu à l’analyse filmique et aux artifices de la mise en scène, on notera qu’il n’y a pas de réels contacts physiques entre l’actrice et les hommes jouant les clients ou violeurs. Chose qui n’a cependant pas dissuadé les critiques qui ont jugé le film de manière défavorable, en raison de ces scènes, le qualifiant d' »écœurant » et « voyeuriste », alors que la réalisatrice n’y met aucune complaisance ou ambiguïté morale : nous sommes bien dans la subjectivité de Noémie et non celle de ceux qui la font souffrir.

Le titre du film est trompeur. La jeune héroïne est d’abord violée via un guet-apens par un ami de celui qu’elle aime (qui a orchestré tout cela), sans consentement aucun, pour qu’ensuite elle capitule, une fois cette ignoble étape franchie, sans qu’elle ne l’ait voulu d’aucune manière. Cette séquence fort éprouvante montre une réalité documentaire. C’est malheureusement ainsi que beaucoup d’adolescentes ou de jeunes femmes sont forcées de franchir un pas qu’elles refusent mordicus. De même que la veulerie, la manipulation du proxénète est réelle et parfaitement dépeinte : la plupart d’entre eux jouent sur le côté « histoire d’amour », affection, sentiments, banalisation d’actes qu’ils n’ont pas le courage de commettre – l’une des premières fois où le garçon lui parle de faire escort, la jeune fille, après refus, lui rétorque, fort à propos : « Pourquoi tu ne le fais pas, toi ? » Le plus dur dans le film ne réside pas dans les assauts, exigences et lubies des clients de Noémie, mais bien dans le viol inaugural par l’ami de l’amoureux, ou les viols par la suite subis par la « gang » (sic, cf. les anglicismes nombreux dans la langue québécoise et donc dans le film) avec qui elle vit ainsi que leurs invités, alors que celle-ci, alcoolisée, est inconsciente.

Noémie dit oui rappelle, en plus soft, les chefs-d’œuvre que sont Despues de Lucia de Michel Franco (pour les outrages subis, la sensibilité de l’héroïne et de son interprète, la marque indélébile que l’œuvre apporte au spectateur) et le trop mésestimé Sleeping beauty de Julia Leigh (pour la thématique, le rapport à la mère, aux clients).Notre héroïne, que ne nous lâchons pas d’une semelle, est acculée, en ceci que les seules personnes qui lui veulent vraiment du bien et lui portent une saine affection, sont les gens du foyer. Or ils sont payés pour cela, c’est leur travail, même si l’intérêt qu’ils lui vouent par ailleurs est sincère. Lorsque l’amie de Noémie, elle aussi mineure en fugue du même lieu, et recherchée pour ces deux raisons, fête ses 18 ans, elle finit par pleurer, expliquant le motif de son désarroi : désormais plus personne ne la cherchera. C’est aussi le cas de Noémie. Sa mère, dès la première et fort intéressante partie dans le foyer puis au tribunal, n’éprouve aucun sentiment pour sa fille, la rejette y compris physiquement et verbalement et refuse à maintes reprises de la prendre (chez elle ou dans ses bras) durant le film, demandant même à ce que sa fille passe sa vie jusqu’à sa majorité en foyer alors qu’elle est dans la capacité technique de l’accueillir. Par la suite, elle refusera ne serait-ce que tout simplement héberger sa progéniture, quand bien même celle-ci est manifestement en danger et aux abois. Le choc de réaliser que la personne qu’elle aime le plus au monde ne veut aucunement d’elle et n’a nulle pitié (pitié ou compassion que n’importe quel être humain est censé avoir même pour un inconnu) est encore plus atroce lorsqu’elle lui préfère un autre enfant, qui, lui, sera aimé et chéri. C’est pour cela que Noémie s’accroche et veut croire à n’importe quelle marque, fût-elle infime et volatile, d’affection d’autrui. Hélas sa meilleure amie, plus âgée de trois ans, est toxique, l’entraîne dans sa propre chute et des propres pas, et le prince charmant regarde trop la jeune fille avec des dollars dans les yeux

L’écriture du film est juste et subtile car les deux personnages pré-cités sont nuancés et demeurent humains, jusque dans leur abjection. Le suspense quant à l’amour « particulier » mais manifeste du mac/petit ami reste en suspens jusqu’à l’issue du film. Même le personnage de la mère, outcast qui a eu sa fille beaucoup trop jeune et redoute les réactions d’un énième compagnon, peut être compris. C’est là aussi où le film frappe fort et juste. Il ne fait pas dans la caricature ni dans le manichéisme. Il n’existe pas de monstres, mais seulement des humains.

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RÉALISATEUR : Geneviève Albert 
NATIONALITÉ : québécoise
GENRE :  Drame 
AVEC : Kelly Depeault, Emi Chicoine, James-Edward Métayer, 
DURÉE : 113 mn
DISTRIBUTEUR : K-Films Amérique 
SORTIE LE : 26 avril 2023