Les chroniques de Darko – My Sunshine : le temps de l’innocence

Voici le deuxième long-métrage que réalise le très jeune metteur en scène japonais de 28 ans Hiroshi Okuyama. Dans son précédent film Jesus (2018) il retraçait déjà le parcours et les affres d’un adolescent qui intégrait une école religieuse chrétienne. Il est encore question d’un adolescent ici, où un jeune garçon d’environ quatorze ans de Hokkaido, l’île la plus au nord du Japon, prénommé Takuya va vivre un hiver décisif dans sa vie. Takuya est un enfant rêveur qui souffre de bégaiement. Distrait par la neige qui commence à tomber, il interrompt la partie de base-ball qu’il est en train de jouer avec ses camarades de classe, pour lever la tête au ciel et laisser tomber les flocons sur son visage et dans sa bouche. Candeur du motif blanc de la neige qui recouvre au loin les montagnes représentées dans le cadre du plan, qui s’associe à celle du caractère du jeune garçon et même à la blancheur de son visage de fine porcelaine. Car tel est Takuya dont les yeux s’illuminent au spectacle d’une jeune danseuse de patinage artistique de son âge qui évolue sur la glace de la patinoire, sensible à la beauté pure des figures qu’elle exécute.

Candeur d’autant plus touchante qu’elle se mêle de maladresse – Takuya n’est pas plus habile au hockey sur glace qu’au baseball, ce que ne manque pas de lui rappeler les autres membres de l’équipe, raison pour laquelle il est cantonné au rôle de gardien de but – et quand il tente de reproduire sur la glace les évolutions artistiques qu’il a vu faire, c’est d’abord en tombant beaucoup. Il semble cependant déterminé et c’est ce que remarque l’entraîneur de Sakura – la jeune fille en question – lui-même ancienne gloire du patinage artistique, qui décide de lui offrir de nouveaux patins plus adaptés à la discipline. C’est alors avec tendresse et comme se projetant en lui, au souvenir de ce qu’il était lui-même enfant comme on le pense, qu’il va prendre en charge son entraînement. Takuya et Arakawa forment un couple empreint de camaraderie joyeuse. Avant que le couple ne se métamorphose en trio lorsque Arakawa propose à Sakura de danser en couple avec Takuya dans la perspective de se présenter à une compétition qui a lieu dans quelques semaines.

La figure de Takuya nous réconcilie avec l’idée de candeur et d’innocence

Le trio se révèle inséparable et l’harmonie entre les trois personnages atteint son apothéose au cours d’une scène où une séance de patinage artistique sur la glace d’un lac gelé des montagnes se mue en jeu à trois dans la neige. Il faut dire que les scènes de danse sont magnifiquement filmées, à la lumière tamisée et dorée – ou bleutée – qui filtre à travers les fenêtres de la patinoire, enveloppant les corps et comme les diluant en elle, rite en hommage à la divinité du soleil qui prédomine et au ciel où il se situe. Car le film est bel et bien de nature solaire au moins jusqu’aux trois quarts de sa durée, avant la chute. En effet, la relation de Takuya et Arakawa est aussi celle d’une transmission mais tout le monde ne le voit pas du même œil et les préjugés refont surface lorsqu’on apprend le « secret » de l’entraîneur.

Plus cruel encore est le coup quand il est asséné à travers les yeux d’un enfant, en l’occurrence de Sakuya, relayé par le discours de sa mère lors de son entretien avec Arakawa: Je vous prie de ne plus vous approcher de ma fille. Les mots sont d’autant plus durs et féroces qu’ils sont prononcés avec toute la politesse voulue et réglée par les mœurs japonaises, et la peur de l’esclandre qui s’ensuit. Sakuya a vu ce qu’elle n’aurait pas dû voir et son âme en est souillée. Au contraire, Takuya ne s’émeut pas de l’intérêt prononcé que Arakawa lui porte et son regard reste pur, libre de toute conscience de la faute. Sa joie de vivre, son épanouissement sur la glace, son côté fantasque même, éblouissent la pellicule au même titre que le paysage de neige qui l’entoure. Il reste le souvenir de cette tendresse qui empreint la relation entre les personnages. Et l’on pourrait être touché d’une certaine forme de nostalgie arrivé à la conclusion du film. Comme si la magie n’avait qu’un temps, celui de cet hiver où les émotions s’expriment silencieusement plus que par des mots – le jeune garçon est bègue – à travers les gestes, les sourires, le jeu et la danse. Peu importe, la figure de Takuya nous réconcilie avec l’idée de candeur et d’innocence et son rôle est interprété avec un grand naturel par l’adolescent – Keitatsu Koshiyama – qui le joue. Tout n’est peut-être donc pas perdu.