Mourir peut attendre : vivre et non pas exister

La franchise James Bond est certainement celle qui a la vie la plus longue : 60 ans depuis le mythique James Bond contre Docteur No (1962), 25 films appartenant à la filmographie officielle, sans même compter le parodique film à sketches Casino Royale ni Jamais plus jamais, avec un Sean Connery sur le retour. Beaucoup se sont inspirés de James Bond, et non forcément parmi les plus mauvais metteurs en scène : Steven Spielberg (Indiana Jones, qui a fini par se retrouver avec comme père officiel Sean Connery), Christopher Nolan (Tenet, Inception), La franchise qui s’est montrée la plus persistante avec déjà sept volets est Mission : Impossible centrée autour du personnage d’Ethan Hunt, interprété par Tom Cruise, ce qui représente un dévoiement de l’idée originale pour la rapprocher du concept de James Bond. Néanmoins, nous sommes loin des 25 opus de la franchise James Bond qui atteint avec Mourir peut attendre un palier incontestable : malgré la pandémie qui a maintes fois retardé sa sortie, nous voici donc enfin devant cet ultime volet des aventures de James Bond qui signe la fin d’un cycle, celui de 5 films réalisés avec Daniel Craig en interprète principal.

James Bond a quitté les services secrets et coule des jours heureux en Jamaïque. Mais sa tranquillité est de courte durée car son vieil ami Felix Leiter de la CIA débarque pour solliciter son aide : il s’agit de sauver un scientifique qui vient d’être kidnappé. Mais la mission se révèle bien plus dangereuse que prévu et Bond se retrouve aux trousses d’un mystérieux ennemi détenant de redoutables armes technologiques…

Plutôt plus réussi que le volet précédent, 007 : SPECTRE, ne sombrant pas dans le désastre de Quantum of Solace, mais n’atteignant pas les sommets atteints par Casino Royale et Skyfall, le film constitue une sortie digne pour Daniel Craig. et vaut le déplacement pour quelques moments absolument formidables

[GARANTI SANS SPOILER] Autant le dire tout de suite, nous n’allons rien révéler du secret de Polichinelle qui ne va pas tarder à écumer sur les réseaux sociaux, pour ne point divulgâcher le plaisir de la découverte aux futurs spectateurs. Signalons simplement que ce nouvel opus restera, quoi qu’on en dise, dans les mémoires, en raison de sa fin. Une fois cela dit, il ne reste qu’à commenter la qualité de ce dernier opus des aventures de James Bond. Mourir peut attendre se situe dans une honnête moyenne plutôt positive. Plutôt plus réussi que le volet précédent, 007 : SPECTRE, ne sombrant pas dans le désastre de Quantum of Solace, mais n’atteignant pas, loin s’en faut, les sommets atteints par Casino Royale et Skyfall, le film constitue une sortie digne pour Daniel Craig. et vaut le déplacement pour quelques moments absolument formidables : une belle introduction en Norvège où une petite fille se trouve face à un tueur sans pitié (l’introduction est d’ailleurs si réussie que l’on a la sensation de se trouver dans un tout autre film), une roborative poursuite en voiture, mettant en scène la fameuse Aston Martin DB5 qui démontre à cette occasion des ressources insoupçonnées, une excellente séquence à Cuba avec l’explosive Ana de Armas, fraîche, sexy et extrêmement drôle et enfin la partie finale où Rami Malek (M. Robot, Bohemian Rhapsody) en méchant à la peau ravagée, donne une envergure toute shakespearienne à son personnage.

Pour le reste, on n’échappe pas aux images conventionnelles des James Bond habituels, avec des sempiternels plans aériens, des cascades spectaculaires mais légérement superfétatoires, des images sans surprises issues de mélos exotiques. Citons parmi les points négatifs : la présence de Léa Seydoux qui paraît toujours aussi déplacée en héroïne d’action, elle que l’on a connue infiniment plus brillante chez Desplechin, Jacquot ou Kechiche peine à donner une consistance psychologique autre que de convention au personnage central de Madeleine ; Christoph Waltz, de retour dans le personnage de Blofeld, continue à faire du Christoph Waltz ; Lashana Lynch, que l’on attendait comme la touche féminine de ce dernier volet, déçoit un peu en Nomi, 007 de substitution, contrairement à Ana de Armas. De manière générale, Cary Fukunaga réussit très bien ses séquences d’action (en particulier un plan-séquence d’escalier qui rappelle la séquence d’anthologie de l’épisode 5 de True Detective) mais on attend souvent en vain la touche d’humour de Phoebe Waller-Bridge (Fleabag, Killing Eve) qui apparaît très sporadiquement ici et là, surtout dans la séquence de retour au MI-6. Disons que l’on aurait espéré avec sa présence un James Bond plus irrévérencieux et provocateur, voire plus féministe, alors que le film reste assez largement sur ses rails de tragédie annoncée, dès le prologue durant 15 à 20 minutes. Mourir peut attendre pèche un peu par son scénario trop ample, qui ne justifie pas véritablement la durée exorbitante de 2h43, hormis une dimension opératique qui fonctionne réellement pour certaines séquences d’anthologie comme l’affrontement verbal entre Rami Malek et Daniel Craig. En dehors de ces séquences, les notions un peu trop éprouvées de confiance et de trahison restent un peu inopérantes pour maintenir l’intérêt du film aussi longtemps.

Enfin, terminons sur le personnage de James Bond. Cette série de films autour de Daniel Craig a renouvelé de fond en comble le personnage, lui attribuant des félûres très humaines par-delà sa fonction de machine à tuer. Blessé par une histoire d’amour débouchant sur une trahison funeste, cf. Vesper Lynd dans Casino Royale, James Bond est ainsi faillible et vulnérable, ce que laisse très bien entrevoir Daniel Craig. Il séduit toujours autant mais couche nettement moins que ses prédécesseurs, par fidélité à une morte (Vesper) ou à Madeleine Swann. En tout cas, avec cette version de James Bond adaptée à notre époque, le machisme a vécu. En témoigne le générique accompagné de la merveilleuse chanson de Billie Eilish, nettement plus sobre qu’à l’accoutumée, ne débordant pas de filles au décolleté vertigineux. Privé à l’origine de famille, cf. Skyfall, James Bond semble presque ici sur le point d’en constituer une et de ressentir les affres de la paternité. Daniel Craig clôt ici de manière certaine un cycle et on ne sait guère à la fin qui va succéder à James Bond, en dépit de la phrase ironiquement terminale en toute fin de générique : James Bond reviendra. Suivra-t-on les nouvelles aventures de Nomi alias Lashana Lynch? La franchise effectura-t-elle un nouveau reboot avec un nouvel acteur en lieu et place de Daniel Craig? Rien ne permet de le dire à la fin. En revanche, il n’est pas anodin que ce dernier opus qui paraît – espérons à tort – sonner le glas d’une époque, celle des films à grand spectacle à déguster sur grand écran, se termine par une citation. Terminer un James Bond par une citation de Plutarque :  » il faut vivre, et non seulement exister », donnant une dimension existentielle à l’ensemble, avouons que la destination méritait malgré tout d’effectuer le voyage.

3.5

RÉALISATEUR :  Cary Fukanaga 
NATIONALITÉ : britannique, américaine 
AVEC : Daniel Craig, Rami Malek, Léa Seydoux, Lashana Lynch, Ana De Armas, Ralph Fiennes, Naomie Harris, Ben Whishaw
GENRE : Action, thriller, espionnage 
DURÉE : 2h43 
DISTRIBUTEUR : Universal Pictures International France
SORTIE LE 6 octobre 2021