Projeté en clôture de la 53ème Quinzaine des Réalisateurs, Mon légionnaire de Rachel Lang se voulait assurément comme l’un des temps forts de cette dernière édition de la sélection parallèle du Festival de Cannes. Plongée en immersion dans la Légion étrangère française en expédition contre l’État Islamique, la réalisatrice choisit de centrer sa caméra sur l’intimité de ces soldats et de leur famille, et non sur le conflit armé et ses motivations politiques. Un choix cinématographique qui, s’il permet une bonne exécution du film, reste problématique vis-à-vis de la manière dont il défend l’armée à l’écran et, par extension, dans la société.
Dans les collines corses face à la mer, un immeuble appartenant à l’armée accueille les épouses et enfants de ceux qui sont partis au front. Parmi celles-ci vit une jeune Ukrainienne, dont le fiancé est intégré à la Légion étrangère sous le contrôle de Maxime (Louis Garrel), son supérieur hiérarchique. Le film se fait le récit de leurs combats : le combat des uns pour la France, le combat des autres pour leurs couples et leurs familles.
Important le concept des army wives dans le cinéma français contemporain, Rachel Lang dévoue sa caméra à un exercice d’intimité, dont le but ultime est non pas filmer l’armée mais de révéler ce qui se cache sous l’uniforme. Choisissant son camp en même temps qu’elle choisit sa focale, la réalisatrice efface ainsi les problèmes politiques qui émergent dans l’armée en même temps qu’elle transforme une guerre réelle en un conflit intime, dépouillé donc de tout arrière-plan politique.
Porté par l’interprétation étonnante d’un Louis Garrel méconnaissable, Mon légionnaire oscille entre moments de vie et moments au front, relisant la vie quotidienne de familles de soldats sous le prisme de l’engagement. Un portrait en intimité cependant incomplet, puisqu’il refuse toujours de faire un dernier pas dans son propos, de pleinement affirmer et revendiquer ce qu’il entend faire. Prenons par exemple la manière dont la réalisatrice choisit de représenter le régiment commandé par Louis Garrel. Loin des vertes prairies de l’Hexagone, cette Légion étrangère se transforme quelque part en une France idéale et rêvée, où des personnes de tous les pays pourraient cohabiter ensemble sans discrimination, se porter un soin mutuel et porter les valeurs de la France – quant au contenu réel de ces valeurs, silence radio. Ce fantasme d’une autre France unie sous les drapeaux pose bien évidemment problème, puisqu’il est basé sur une hiérarchie rigide, un care agressif d’hommes réaffirmant leur virilité en même temps qu’ils effleurent du doigt leurs faiblesses, et un drapeau français à l’écran comme une évidence, sans que la réalisatrice ne formule jamais ce qu’il représente.
Car la réalisatrice n’interroge jamais les questions que pose cette description de l’armée, refusant de voir dans cette représentation un problème, et choisissant d’y voir plutôt un état de fait qu’il faut accepter. Témoignant d’un soutien total et inconditionnel aux forces de l’État, la réalisatrice échoue alors à poser un regard critique dans son film, un échec qui se répercute non seulement dans son incapacité à interroger la violence de l’armée mais encore dans son incapacité à formuler les structures définissant les conditions de vie des personnages de Camille Cottin et Ina Marija Bartaité, army wives de l’Île de Beauté – à savoir, la cellule familiale hétéro-patriarcale. Comprenant l’aliénation de ses personnages féminins seulement comme la conséquence d’un engagement et jamais comme le produit d’une structure familiale d’autant plus rigide qu’elle se rapproche du corps de l’État, Mon légionnaire se perd ainsi dans une représentation complaisante, brossant un portrait généreusement solidaire d’une armée dont on interroge les structures qu’avec la plus parcimoneuse des retenues. Avançant à couvert, Rachel Lang détourne le regard des problèmes qu’elle ne saurait voir, et entend bien convaincre son public de regarder dans la même direction.
Au front comme au pays, le film avance donc masqué, cherchant à tout prix à éviter de poser les questions qui fâchent sur l’armée. Car ce que Rachel Lang propose avec Mon légionnaire, ce n’est pas d’ausculter le fonctionnement de l’armée dans une posture distanciée et documentaire. Au contraire, elle met au service des militaires la capacité de la caméra à mettre en récit et partager l’intimité, transformant des petits soldats en personnes réelles. En tant que cinéaste face à des militaires, la question que la réalisatrice pose avec son film est la suivante : quel est le devoir d’une cinéaste face à ceux et celles dont la vie entière est dictée par le devoir – devoir filial et familial, mais aussi devoir envers la Nation ? Pour Rachel Lang, son devoir est là : utiliser la caméra pour montrer une certaine humanité, se concentrer non pas sur les treillis et les képis mais sur ce qu’il y a sous l’uniforme. Décalant la guerre vers l’intime, la réalisatrice rend cependant impossible la formulation de toute critique politique, à tous les plans : car en cela que les soldats souffrent à l’écran et sont donc des humains « comme les autres », la réalisatrice exige explicitement de ses personnages qu’ils ne répondent jamais de leurs actes. Avec une empathie qui dissimule non sans commodité sa complaisance vis-à-vis des problèmes structurels de l’armée, la réalisatrice échoue ainsi non seulement à considérer la place de l’armée dans la société, mais encore à étoffer ses portraits de femmes et de familles d’une analyse réaliste de la condition féminine sous le patriarcat militaire. Réduisant ses petits soldats à une célébration du corps masculin viril engagé pour une Nation virtuelle et idéale, réduisant la tension entre l’intime et le devoir à un simple coup de poing frustré dans un mur, le film refuse volontairement de formuler ce que représente réellement l’armée dans le corps social, pris au piège par le spectacle qu’il fait d’intimités traversées par un politique qui ne dit jamais son nom.
Important le concept des army wives dans le cinéma français contemporain, Rachel Lang dévoue sa caméra à un exercice d’intimité, dont le but ultime est non pas filmer l’armée mais de révéler ce qui se cache sous l’uniforme. Choisissant son camp en même temps qu’elle choisit sa focale, la réalisatrice efface ainsi les problèmes politiques qui émergent dans l’armée en même temps qu’elle transforme une guerre réelle en un conflit intime, dépouillé donc de tout arrière-plan politique.
RÉALISATEUR : Rachel Lang NATIONALITÉ : Française AVEC : Louis Garrel, Camille Cottin, Ina Marija Bartaité GENRE : Drame, Militaire DURÉE : 1h47 DISTRIBUTEUR : Bac Films SORTIE LE 6 octobre 2021