Signoret et Montand. Montand et Signoret. Même pour celles et ceux qui n’ont pas grandi à cette époque ou suivi de près la filmographie du duo d’amoureux, l’évocation sonne incantation. Tous les adjectifs leur collent à la peau : couple star, sublime, passionné, déchiré. Cinématographique. Un parfait objet, donc, pour Diane Kurys, déjà habituée des biopics avec Les Enfants du siècle (sur Georges Sand et Alfred de Musset) ou encore Sagan (on ne vous fait pas l’affront de rappeler le prénom). Comme dans les deux précédents, la réalisatrice glisse sous leurs peaux des acteurs et actrices aux visages familiers du grand public : ici Marina Foïs et Roschdy Zem. Présenté en clôture de Cannes Classics en mai dernier, Moi qui t’aimais trébuche malheureusement dès la première scène, tentant difficilement de nous emporter dans une valse qui ne fonctionnera jamais.
Elle l’aimait plus que tout, il l’aimait plus que… toutes les autres. Simone Signoret et Yves Montand étaient le couple le plus célèbre de leur époque. Hantée par la liaison de son mari avec Marilyn Monroe et meurtrie par toutes celles qui ont suivi, Signoret a toujours refusé le rôle de victime. Ce qu’ils savaient, c’est qu’ils ne se quitteraient jamais.
Pour tenter de nous faire tirer les larmes, la bande-son surcharge le film de passages de musique classique avec force violons et trémolo… c’est peine perdue. Et plutôt énervant.
Certains paris d’ouverture de film sont plus osés que d’autres. Avec Moi qui t’aimais, Diane Kurys nous plonge dans son œuvre en commençant par montrer aux spectateurs une longue scène de maquillage et de coiffage. On y suit Marina Foïs et Roschdy Zem se préparer pour leurs rôles. Pose de fond de teint, concentration ou sourires silencieux, cheveux saucissonnés sous un filet et petites pinces pour tirer en œil de chat le regard de Marina Foïs : voilà toute la magie du cinéma – et du film à venir – balayée d’un coup de pinceau poudré. En voulant affirmer sa dimension évocatrice – et non pas imitatrice – Diane Kurys détruit dès les premières secondes le quatrième mur. À partir de là, difficile de rattraper le train fictionnel, et de ne pas constamment voir Foïs sous Signoret et Zem sous Montand.
Comme devant un grand théâtre de marionnettes, les fils de la réalisation semblent alors crever l’écran. La direction d’acteurs des deux têtes d’affiche laisse pantois : les voix, les tons et les inflexions qui se veulent imiter les phrasés désuets de l’époque sonnent désespérément faux. Et à leur complicité, entre étreintes et déchirements, on ne croit pas non plus. Peu d’électricité nous parcourt en regardant ce binôme à l’écran. Même les scènes qui auraient dû être les plus fortes – comme celle où Signoret se jette aux pieds de Montand pour lui supplier, en larmes, de ne pas partir alors que c’est lui qui vient de fauter à nouveau – semblent dénuées de réelles émotions. Pour tenter de nous tirer les larmes, la bande-son surcharge le film de passages de musique classique avec force violons et trémolos… c’est peine perdue. Et plutôt énervant. Seul un personnage se détache brillamment et nous embarque dans la fiction et les émotions, celui de Catherine Allégret, la fille de Simone Signoret, jouée par une Raphaëlle Rousseau à la mèche enfiévrée.
Braquant les caméras sur les dernières années de vie commune du duo monstre (douze années, entre 1973 et 1985, date du décès de Signoret), Kurys avait pourtant choisi un angle intéressant, se concentrant sur les vagues les plus terribles, les dernières vagues, de cet amour tempétueux. Une des premières scènes qui s’ouvre sur les “vrais” Signoret-Montand, après la séquence maquillage, ne les épargne pas. Nous sommes dans le salon de leur hôtel particulier parisien, ils révisent ensemble leurs textes, et les critiques fusent entre deux répliques. Il ne connaît pas son texte, la prend pour responsable, elle picole sur le canapé tout en tricotant. La phrase de Montand-Zem claque : « Une maille à l’endroit… et un verre de whisky pour se mettre à l’envers ! », formule qui aurait pu faire sourire si l’on n’avait pas l’impression d’avoir été soudainement projeté dans un mauvais vaudeville de boulevard.
Malgré le rythme distendu et l’ennui ressenti, le scénario s’en sort tout de même avec quelques bonnes répliques. On peut retenir celle de Montand s’adressant à une jeune actrice, qu’il invite à dîner avant d’engager avec elle une relation adultérine. À la question : vous vous aimez encore ? Le bel homme infidèle répond : « Au bout de tant d’années, tu ne sais plus si c’est ta femme, ton amie, ta soeur, ta mère, ta pire ennemie… tu sais juste que tu ne peux pas vivre sans elle. » Bien plus tard, usée par la fatigue, la tristesse et le quotidien alcool-clopes, Signoret lance devant leur femme majordome : « Un film, une blonde (…) et en plus il est payé pour ça » ou encore, ce constat d’une justesse déchirante : « C’est affreux d’avoir été belle, je ne connais rien de pire. »
La dernière scène ne rattrape malheureusement pas la première. Dans la chambre à coucher de leur grande maison à Auteuil, Montand tient Signoret dans ses bras. Elle est malade, on sait juste que la chose est grave. Il lui demande : « Pourquoi t’es jamais partie ? » ; elle répond : « J’ai jamais eu le courage… » Les yeux cernés se ferment, on ne sait pas si elle dort ou si elle vient de décéder mais la caméra tente un travelling qui se veut émouvant sur le cadre posé sur leur table de chevet… Un procédé éculé qui nous fait presque regretter de ne pas être retourné dans le studio pour voir Marina Foïs et Roschdy Zem renfiler leur jean et baskets.
RÉALISATEUR : Diane Kurys NATIONALITÉ : Française GENRE : Biopic AVEC : Roschdy Zem, Marina Foïs, Thierry de Peretti, Raphaëlle Rousseau DURÉE : 1h 58min DISTRIBUTEUR : Pan Distribution SORTIE LE 1er octobre 2025