© Les Films du Losange
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Miroirs No.3 : Ravel la vie

Après Ondine et Le Ciel rouge, Christian Petzold poursuit son travail d’orfèvre mélancolique avec Miroirs No.3, présenté à la Quinzaine des cinéastes. Sous la forme d’un week-end champêtre et faussement apaisé, il déplie une partition millimétrée où le moindre geste et chaque silence entre deux notes suffisent à faire vaciller une famille. En ces temps de cinéma parfois bruyant, boursouflé – moins que l’année dernière pour cette édition cannoise – Miroirs No.3 rappelle que l’art est peut-être d’abord affaire d’ajustement.

Le nouveau long-métrage de Christian Petzold est un film modeste, mais profondément puissant, d’apparence simple, mais construit avec une rigueur d’orfèvre.

Christian Petzold a toujours eu le goût des disparus – pas tant ceux qui meurent que ceux qui glissent hors cadre, qui restent en creux, qui trouent la texture même du plan en revenant de l’au-delà. Avec Miroirs No.3, il poursuit cette géométrie du vide à travers un récit presque banal, une de ces histoires que l’on pourrait résumer en quelques lignes sans rien en dire : Laura (Paula Beer), étudiante à Berlin, échappe à la mort lors d’un accident de voiture. Elle est recueillie dans une maison à la campagne par Betty (Barbara Auer), une femme restée au bord de la route. Et c’est tout, ou presque. Mais dans ce presque, Petzold loge un film d’une rare acuité. Dès les premiers plans, la rivière annonce : sur un pont, Laura veut fuir, peut-être mourir. Dans la voiture rouge Godard, elle regarde ailleurs, littéralement, espérant trouver une échappatoire à sa vie amoureuse, peut-être désastreuse. Le salut viendra d’un autre regard – celui de Betty. Elles se croisent à plusieurs dizaines de kilomètres par heure, mais une entente muette se noue. Deux femmes trouées de l’intérieur qui, par une mécanique du destin, vont s’emplir l’une de l’autre.

Il ne faut pas longtemps pour que la tendresse infiltre les gestes : peindre une clôture ensemble, se couvrir d’un plaid, déposer sur la table de chevet un café, jouer quelques notes au piano. Petzold excelle dans cette mise en scène de l’infime. Chaque plan semble tenir sur un fil, suspendu à des micro-déséquilibres : un prénom mal prononcé, un regard un peu trop insistant, une porte qui reste ouverte. Quand Betty appelle Laura « Yelena », on comprend que la reconstruction a le visage d’un trouble. Autour de ce noyau féminin gravite un duo masculin – le mari et le fils de Betty qui ne vivent plus avec elle. Laura recolle les morceaux, les invite à dîner, leur partage les objets cassés comme des peines du coeur qu’il faudrait rabibocher. Les hommes artisans de la maison réparent un vélo, un lave-vaisselle, un évier. Elle devient, sans y penser, la cheffe d’orchestre d’une recomposition familiale. En leur jouant Miroirs No.3 de Ravel sur le piano familial, elle remet de l’ordre – ou du moins, une forme d’harmonie dans le désordre de cette famille blessée.

Comme souvent chez Petzold, la lumière est mate, les cadres simples, la musique peu envahissante. On pense à Barbara, à Phoenix, à Ondine ou encore au Ciel rouge dont Paula Beer reprenait déjà la charge émotionnelle. Ici, elle est tout autant mythique, moins charnelle mais plus généreuse. Le film travaille à la fois le motif du double (Laura et Yelena, vivante et morte), et celui du miroir (ce que l’autre nous renvoie de nous-mêmes, ce qu’on répare chez lui qu’on ne sait réparer en soi). Les dialogues, eux, sonnent juste. Une économie de mots, parfois laconiques, parfois suspendus.

Il reste, comme souvent chez Petzold, une impression poétique qui dit le désarroi, le vertige de l’attachement, le flou de toute identité projetée sur l’autre. Miroirs No.3 est un film modeste, mais profondément puissant, d’apparence simple, mais construit avec une rigueur d’orfèvre. Reste l’impression tenace d’une main tendue qu’on ne voit pas toujours, mais qui ne lâche jamais.

4.5

RÉALISATEUR : Christian Petzold
NATIONALITÉ : allemand
GENRE : drame
AVEC : Paula Beer, Barbara Auer, Matthias Brandt
DURÉE : 1h26
DISTRIBUTEUR : Les Films du Losange
SORTIE LE 27 août 2025