Méduse : l’emprise d’un nouveau Triangle of sadness…

La très belle Romane, agente immobilière, s’occupe de sa sœur handicapée, Clémence, victime d’une hémiplégie qui lui voit une jambe paralysée et une parole perdue, dans la magnifique et immense villa héritée de leur grand-mère : c’est immédiatement dans cette antre paradoxalement spacieuse et enfermante, filmée comme un personnage à part entière, que le cadre du récit est posé, ambiance mortifère pour deux jeunes femmes dépendantes l’une de l’autre, et qui garde en elles mensonges, secrets et troubles. C’est ici aussi que l’adaptation du mythe de Médusa – terme dont l’étymologie renvoie à la question ambiguë de la « protection » – viendra prendre toute son ampleur, entre monstruosité et fatalité de cette Méduse à filaments multiples…

C’est immédiatement dans cette antre paradoxalement spacieuse et enfermante, filmée comme un personnage à part entière, que le cadre du récit est posé : ambiance mortifère pour deux jeunes femmes dépendantes l’une de l’autre, et qui garde en elles mensonges, secrets et troubles.

Le cinéma actuel semble se tourner de plus en plus vers les mythes comme une nécessité de se retourner sur le passé, ses morts et ses sur.vivants. De ce point de vue, dans ce premier film, Méduse, la situation familiale des sœurs est exemplaire et situe les deux héroïnes entre la vie et la mort, les deuils et les luttes, la connaissance et l’ignorance – jusqu’aux mensonges : un père absent dont Romane ignore réellement ce qu’il faisait professionnellement, une mère décédée dans un accident de voiture dont elle est la seule victime, une grand-mère laissant un héritage maudit, et une sœur malade des suites d’un accident cérébral – était-elle dans la voiture ? – dont le détail est trouble parce que Romane en déforme la réalité auprès d’un amoureux rencontré. Ce sont ainsi des plans larges sur les activités de l’une, et des plans plus serrés sur le corps de l’autre qui sont offerts pour nous faire entrer dans l’état d’esprit des deux personnages. La première partie s’attache au quotidien partagé et déséquilibré des deux femmes (Romane travaillant, Romane s’occupant de la maison, Romane s’occupant de sa sœur), pour camper une working girl qui n’attend que les soirées festives qu’elle cache à sa cadette pour échapper à la morbidité, et est montrée comme une Gorgone qui peut pétrifier du regard (!) pendant que sa sœur, souvent sournoise, est davantage l’Érinye persécutrice malgré elle, capable d’enlèvement à l’image de ces héroïnes antiques – ce qu’elle fera pour partie en attirant à elle l’amoureux de sa sœur. Avec l’arrivée de l’homme, Guillaume, beau gosse, pompier, c’est un deuxième tableau, qui vient nous montrer un (double) guérisseur, présent pour aimer l’une et disponible pour sauver l’autre, sans qu’il ne prenne en compte ce qui pourtant lie les deux sœurs, trop concentré qu’il est sur son pouvoir d’exister au sein de la famille (féminine) réduite… L’Apollon arrivé – à l’image du héros grec à faire retrouver la santé à son contact –, c’est le tableau d’un trio infernal qui est donné à voir après le bonheur amoureux, fait des pulsions d’une Romane en train de revivre durant que sa sœur se recroqueville peu à peu… L’attention portée à l’image des corps des personnages, révélatrice de comment chacun est campé dans sa fonction au sein du récit, témoigne déjà d’une réflexion de la part de la réalisatrice sur l’image de cinéma, capable de faire éprouver – donc d’être ép(r)ouvante !

L’Apollon arrivé tel un héros grec à faire retrouver la santé à son contact, c’est le tableau d’un trio infernal qui est donné à voir après le bonheur amoureux, fait des pulsions d’une Romane en train de revivre durant que sa sœur se recroqueville peu à peu…

Le film joue en effet sur les genres : parti d’un drame familial psychologique, il nous fait entrer peu à peu dans un thriller amoureux, où l’un des ressorts – classique mais toujours efficace, on en a vu récemment les enjeux, les rouages et les effets dans Une femme de notre temps de Civeyrac –, la jalousie, vient caresser le genre du fantastique et de l’horreur. C’est à travers le regard de Romane – qui semble n’avoir pas fait le deuil, n’envisage pas une nouvelle perte mais se transforme peu à peu en zombie – que sont données à voir des hallucinations dignes d’un Suspiria (Dario Argento), cachée dans un recoin de la cave sombre à observer le rapprochement de Guillaume et Clémence, ou traversant le premier étage de la villa, dans sa robe de tulle faisant d’elle un fantôme, à imaginer comment les corps du couple en thérapie se rencontrent… sexuellement. Le travail de Sophie Lévy, bien que référentiel, est de ce point de vue assez impressionnant à créer un malaise grandissant tout au long du film. Cela ne semble pas un hasard si la réalisatrice choisit trois acteurs, au physique imposant de par leur beauté, leur solidité ou leur étrangeté. Ainsi Roxane Mesquida (Romane), apparue dans de nombreux films au titre du second rôle, est digne des plus belles sorcières, quand sa sœur Clémence, interprétée par Anamaria Vartolomei, vient créer l’Événement (!) comme aussi dans le film d’Audrey Diwan) pendant qu’Arnaud Valois vient montrer la palette de son jeu. C’est enfin un certain travail sur la photographie qui vient donner sa tonalité au film, tourné en format scope : dans des couleurs désuètes et jamais saturées, et en complément de la villa, Sophie Lévy s’attarde à montrer des paysages – ciel, arbres et le climat qui les traverse – comme reflets des états intérieurs des personnages – successivement de la mélancolie de ne pouvoir y accéder, enfermés dans la villa ou de la joie de pouvoir y jouer librement. Le choix des couleurs froides (blanc, bleu, vert) aggravent le sentiment de tension et une certaine forme de déshumanisation des personnages malgré leur fonction respective (d’aidante, de guérisseur), chacun pris dans une forme de toile d’araignée, entre solitude et emprisonnement. Est-ce un rappel aux films de Lars von Trier, les images artistiques de peintures de Bosch, feuilletées dans des livres que Clémence tache, ou la musique composée par Olivier Marguerit (qui a signé récemment celle de La Nuit du 12 de Moll) complétée par les extraits classiques (de Vivaldi à Bach), qui finissent de rendre palpables quelles terreurs, presque infantiles tant les personnages semblent sortis de conte pour enfants, dans des maisons hantées ou des bois enchanteurs, traversent les personnages? Premier symptôme, un premier départ intuitif de Guillaume au début du récit… avant son retour et son dernier départ…, et avant celui du prochain médecin…

Le travail de Sophie Lévy, bien que référentiel, est de ce point de vue assez impressionnant à créer un malaise grandissant tout au long du film, grâce à ses trois acteurs, de par leur beauté, leur solidité ou leur étrangeté…

Si Méduse tire un peu trop, dans son scénario, sur la ficelle de schèmes traditionnels, sans doute en référence aux genres dont le film s’inspire, notamment par le regard porté sur les femmes, victimes ou dépendantes du regard des hommes, et le rôle assuré par les hommes – vus dans leur force prédatrice autant que salvatrice ! –, ce premier film ne laisse pas le spectateur sur le bord de la route, et laisse présager une suite prometteuse…

3.5

RÉALISATEUR : Sophie Lévy
NATIONALITÉ : France
AVEC : Anamaria Vartolomei, Roxane Mesquida, Arnaud Valois, Léo Dussolier, Pierre Nisse, Maxime Gleizes, Amanda Rubinstein
GENRE : drame psychologique
DURÉE : 1h26
DISTRIBUTEUR : Wayna Pitch
SORTIE LE 26 octobre 2022