On se souvient qu’en septembre 2020, Nicolas Bedos a lancé une polémique monstrueuse en appelant dans un message sur Instagram, en pleine épidémie du coronavirus, à abandonner le port du masque et à « vivre quitte à mourir ». Nicolas Bedos n’est pas mort et consacre aujourd’hui paradoxalement son nouveau film, Mascarade, à une manipulation où chacun se dissimule derrière un masque virtuel et compte bien berner l’autre en déguisant ses intentions. Comme l’énonce le dictionnaire, le terme de mascarade, dérivé de masque, désigne une manifestation festive au caractère satirique rassemblant des personnes masquées et déguisées. De la dénonciation du masque physique à la célébration du masque virtuel, Nicolas Bedos a un peu retourné sa veste, le plus grave étant que c’est davantage le sens figuré du terme mascarade, qui s’applique à son film : « un comportement hypocrite, une situation dérisoire, une mise en scène fallacieuse, un simulacre ou une parodie dans le domaine social, politique ou juridique ». Tout est quasiment dit. Que dire de plus, sinon essayer de le faire dans l’esprit d’un Nicolas Bedos à son summum, dans un style joyeusement ironique. Il nous le pardonnera.
Mascarade : « un comportement hypocrite, une situation dérisoire, une mise en scène fallacieuse, un simulacre ou une parodie dans le domaine social, politique ou juridique ».
Adrien (Pierre Niney) était promis à une carrière de danseur jusqu’à un terrible accident de moto. Il se reconvertit dans une carrière de gigolo, séduisant des femmes ayant au moins le double de son âge. Le faisant passer pour un apprenti écrivain, Martha (Isabelle Adjani), ancienne star de cinéma sur le retour, prodigieuse comédienne, l’entretient dans sa riche propriété sur la Côte d’Azur. A une soirée organisée par Martha, Adrien croise la jeune et belle Margot (Marine Vacht), qui vit d’arnaques et de manipulations et s’entiche de lui. Ils vont s’associer pour monter un incroyable complot en bernant Simon (François Cluzet), un agent immobilier, afin de parvenir à mener la belle vie…
Depuis OSS 117 : Alerte rouge en Afrique noire, Nicolas Bedos a, s’il en était besoin, terni inutilement son image. Certes son OSS a dépassé 1 600 000 entrées mais n’a rien apporté à sa carrière, en étant le plus mauvais score de la franchise. En dépit de son image publique contestée et agaçante de golden boy, ses premiers films, Mr et Mme Adelman et La Belle Epoque, avaient été plutôt bien accueillis. Nous les avions d’ailleurs soutenus pour leur prise de risques et leur inventivité assez rares dans le contexte du cinéma français contemporain. La Belle Epoque avait d’ailleurs remporté le César du meilleur scénario original, en raison de son concept singulier. Malheureusement, il fallait craindre que le succès ne monte à la tête d’un artiste aussi doué et égocentrique. Après OSS qui apparaissait comme un gage commercial donné au système dominant du cinéma français, Mascarade se voulait une satire explosive des hyper-riches. Or, domine étrangement pendant tout le long métrage l’impression malaisante que Bedos ne connaît pas ce dont il parle, que les êtres qu’il montre à l’écran, n’ont pas de consistance, de chair ni de sang. Ce qu’il nous montre relève du pur fantasme, la vie des ultra-riches telle que tous l’imaginent, basculant la tête devant dans le cliché le plus total, sans la moindre once de vécu, dans un décor de Côte d’Azur de pacotille. Dans Mascarade, le cinéma de Nicolas Bedos s’assume comme complètement hors sol.
Le côté hors sujet du film n’est pas franchement amélioré par le style clipesque, fait de plans durant souvent à peine cinq secondes, où Nicolas Bedos confond la plupart du temps vitesse et précipitation. C’était parfois un peu le cas dans ses deux premiers films, où il avait également peur de gérer des moments où il fallait s’attarder et prendre son temps, mais la force du concept (retracer cinquante ans de la vie d’un couple dans Mr et Mme Adelman, recréer le passé dans le présent dans La Belle Epoque) permettait d’oblitérer ce style un peu brouillon. Dans le meilleur des cas, le cinéma de Nicolas Bedos peut ainsi faire penser à celui d’un Lelouch, légèrement mâtiné de Truffaut ou de Woody Allen ; dans le pire (OSS et donc Mascarade), c’est davantage aux films de Frédéric Beigbeder, soit l’un des plus mauvais metteurs en scène français actuels, qu’il renvoie, empilant cliché sur cliché (villas au bord de la mer, et tout ce que l’argent peut acheter), et vulgarité sur vulgarité (cette scène de rencontre dans une voiture entre Adrien et Margot, sur fond de dextérité manuelle).
S’il fallait réellement se moquer des ultra-riches, autant le faire avec distance et un réel humour. Il suffit ainsi de comparer ce que peut faire un Ruben Östlund dans Sans filtre – même ses détracteurs habituels le reconnaîtront – par rapport à la satire dénuée d’idées, sans force ni expressivité d’un Nicolas Bedos dans Mascarade, pour mesurer ce qui sépare le premier du second. Pour prendre un autre exemple, à côté de Mascarade, La Grande Belleza de Paolo Sorrentino, film inégal et ô combien surcôté, s’approche presque du chef-d’oeuvre. Si on rajoute que la plupart des comédiens se trouvent en pilotage automatique (Niney, Cluzet, Marine Vacht, Laetitia Casta du pauvre, échouant à donner un semblant d’épaisseur à son rôle de manipulatrice, hormis, avouons-le, lorsqu’elle prend un accent anglais à la Jane Birkin), il ne reste plus grand-chose à sauver d’un rare naufrage. Néanmoins surnage une Isabelle Adjani marmoréenne qui, à près de 70 ans, a trouvé la formule magique (chirurgie esthétique!) pour en paraître entre quarante et cinquante, ce qui rebat une nouvelle fois les cartes dans la compétition féroce qui la voit rivaliser avec Isabelle Huppert (dotée d’un chirurgien moins doué) depuis cinquante ans. A elle reviennent les quelques rares moments de réelle émotion, de splendeur tragique et dramatique, d’humour sardonique, qui auraient pu, s’ils avaient été moins rares et dévolus à une seule personne, faire de Mascarade un film acceptable. Rien que pour elle et sa présence unique, il est possible de s’infliger le visionnage de cette oeuvre décevante.
Pourtant, à certains moments, le film aurait pu aborder des thématiques intéressantes, si Bedos avait daigné les approfondir : les relations entre un jeune homme et des femmes plus âgées, expérience vécue de Bedos sur laquelle il aurait pu énoncer un témoignage passionnant, ou les provocations réciproques d’un couple « borderline », tel qu’il a pu le vivre avec l’exubérante Dora Tillier. Malheureusement ces thématiques se trouvent noyées dans un prétexte dramatique d’arnaque, auquel personne ne croit, à commencer par l’auteur. Tout va vite, très vite, sans que Bedos ne s’attarde, par pudeur ou peur de se confronter à des traumatismes de sa vie. Dans cette nouvelle version remontée pour la sortie en salles, Mascarade fait treize minutes de moins que sa version cannoise et affiche une bande originale modifiée mais paraît en dépit de ce travail de dernière minute, d’une effroyable longueur. Car la rapidité des plans n’a jamais signifié intensité ni profondeur de la mise en scène. Après deux films plutôt réussis et deux autres relativement ratés, qui peut prédire où en sera Nicolas Bedos pour son cinquième film? De quel côté penchera la balance?
RÉALISATEUR : Nicolas Bedos NATIONALITÉ : française AVEC : Pierre Niney, Isabelle Adjani, Marine Vacht, François Cluzet, Emmanuelle Devos GENRE : Comédie dramatique DURÉE : 2h14 DISTRIBUTEUR : Pathé SORTIE LE 1er novembre 2022