Mars Express : humanité 2.0

En 2200, ce sont plus que des millions de kilomètres qui séparent le berceau de l’Humanité de la planète rouge : alors que la Terre est rongée par la pauvreté et les guerres, sur Mars, le quotidien est fait de plaisir, d’ordre et d’opulence. En surface tout du moins. Déjà remarqué avec la série Lastman, le réalisateur Jérémie Périn signe avec Mars Express son baptême de feu cinématographique. Un premier film puissant, moderne, d’une grande précision, aussi stimulant que passionnant.

Aline Ruby, une détective privée, et son partenaire androïde Carlos Rivera sont envoyés sur Terre par un riche homme d’affaires pour retrouver une hackeuse renommée. De retour à Noctis, la capitale martienne, le duo part cette fois-ci à la recherche d’une jeune étudiante, Jun Chow. Une enquête qui va les mener dans la facette sombre du rêve martien, entre trafics, meurtres et corruption. Un véritable péril pour l’Humanité.

Ce qui frappe d’abord avec Mars Express, c’est sa capacité à dépeindre un futur crédible, quelque part austère, mais surtout pratique, au service de l’Homme. Sur cette planète lointaine domptée par la technologie, une nouvelle civilisation s’est élevée, loin, en apparence, des problématiques terrestres. Un monde à l’image des fantasmes d’Elon Musk et de Raymond Kurzweil, à la fois interconnecté et sans limites. Un futur où la génétique et l’informatique ne font plus qu’un, une symbiose parfaite qui gomme les barrières que l’on imaginait jusqu’ici infranchissable : du plaisir charnel avec des androïdes à l’immortalité, le champ des possibles s’est étendu, mais pas sans contrepartie. Comme dans d’autres œuvres du genre, de Blade Runner à Repo Men, le corporatisme s’est imposée. L’Etat est entre les mains de grands groupes privés et d’élites qui érigent une société libertarienne. Des individus libres dans la limite des intérêts des puissants.

Assurément un grand film d’animation français, qui confirme le talent du cinéaste Jérémie Périn et de ses équipes

Un rêve (ou cauchemar selon la boussole) devenu réalité donc, un Far West réinventé, terreau propice pour les expérimentations, à commencer sur nous-mêmes. C’est là que réside la grande interrogation du film : quel est le devenir de l’Humanité à l’heure des androïdes ? La frontière entre la machine et l’Homme est brouillée, presque imperceptible. L’interconnexion souhaitée se révèle être un challenge : en échange de l’instantanéité des échanges par une forme de télépathie, la société a ouvert la voie vers ce que l’on nomme le transhumanisme, l’augmentation de nos capacités par la technologie. Alors, au bout de ce processus, comment nous distinguer de la machine qui, elle-même, devient de plus en plus sensible et organique ? Muselé par un logiciel, les robots doivent respecter la supériorité de la vie humaine. Ils sont à la fois indispensables et insignifiants, des esclaves à la merci de nos désirs. Dans ce monde largement dépolitisé, la société se montre tantôt consommatrice, tantôt spectatrice des changements en cours.

Sur cette planète qui accumule toutes les avancées technologiques, l’Homme lui, n’a pas beaucoup changé : il continue d’exploiter et de tuer son prochain. Dans 2001, l’Odyssée de l’espace, Stanley Kubrick dépeignait également une société en quête de perpétuel dépassement, en prise avec son identité face au sixième membre de l’équipage du vaisseau, le fameux Hal, métaphore et adversaire à affronter pour progresser. Dans le film de Jérémie Périn, le sommeil de l’Humanité face aux machines sensibles prend brutalement fin avec sa magnifique conclusion, nous laissant assister à un touchant départ, le début d’une nouvelle ère, loin de l’égoïsme et de la violence des humains. Plus qu’une intéressante réflexion sur notre avenir, Mars Express est aussi un polar futuriste où l’on retrouve les codes du roman noir, avec notamment l’enquêtrice alcoolique, obnubilée et coriace. Une œuvre ambitieuse, riche, au montage minutieux, à l’esthétique certes minimaliste, mais maîtrisée. La bande originale d’Avril et Monthaye accompagne en légèreté l’intrigue, avant de terminer le voyage tout en émotion. Assurément un grand film d’animation français, qui confirme le talent du cinéaste Jérémie Périn et de ses équipes.

4.5

RÉALISATEUR : Jérémie Périn
NATIONALITÉ : France
GENRE : Science Fiction, Animation
AVEC : Léa Drucker, Mathieu Amalric, Daniel Njo Lobé
DURÉE : 1h25
DISTRIBUTEUR : Gebeka Films
SORTIE LE 22 novembre 2023