Au début des années 2010, Pablo Larraín s’est surtout fait connaître par une série de films ayant comme toile de fond la dictature d’Augusto Pinochet au Chili, son pays d’origine : Tony Manero, Santiago 73, post mortem, No. Cette obsession pour cette figure politique prégnante, il l’a reprise dernièrement dans Le Comte (Prix du scénario à la Mostra de Venise 2023), où Pinochet était décrit sous les traits d’un vampire qui aurait même survécu à sa mort physique. Pourtant, Neruda lui a entre-temps permis d’opérer une transition vers le genre du biopic et le cinéma international. Maria se présente comme le dernier (?) volet d’une trilogie sur les femmes célèbres frappées par le sceau du malheur, après Jackie (2017) sur Jacqueline Kennedy-Onassis et Spencer (2021) inspiré par Lady Diana. Comme dans les deux précédents volets, l’héroïne, cette fois-ci Maria Callas, l’une des plus grandes cantatrices de tous les temps, sera obsédée par la mort et hantée par les fantômes de sa vie.
Lors des sept derniers jours de sa vie, Maria Callas revisite son existence et revoit les souvenirs de son passé. Elle consulte un médecin et s’essaie à chanter les airs dans lesquels elle excellait jadis. Elle peut encore compter sur ses domestiques, ses derniers amis, alors qu’elle se noie dans une solitude inéluctable.
Larraín a réussi à capter quelque chose de plus précieux qu’une simple illustration musicale qui ne paraît pas l’intéresser, l’effondrement d’une femme dans le gouffre de sa solitude, l’autodestruction d’une artiste qui avait su exprimer le meilleur d’un art.
La mort hante cette trilogie féminine. Celle de John Fitzgerald Kennedy assassiné en 1963 à Dallas dans Jackie, où le personnage féminin ne cesse de ressasser son bonheur disparu qui s’est fracassé en plein vol ; celle future de Lady Diana qui étouffe dans l’atmosphère funèbre des palais et châteaux de la royauté britannique qui finissent par ressembler à des palais de fantômes ; celle, enfin, toute proche de Maria Callas qui ne voit plus d’issue à son existence, ne pouvant plus se consacrer convenablement à son art, sa voix l’ayant abandonnée à l’orée de la cinquantaine. Si Jackie était en fait un accident (positif) dans la carrière de Pablo Larraín, le film devant être à l’origine réalisé par Darren Aronofsky, les scénarios écrits par Steven Knight pour les deux volets suivants ont volontairement accentué l’aspect mortifère de cette trilogie.
Maria est donc un film assez émouvant sur la finitude, la dégradation d’une vie et d’un talent. Pendant les sept derniers jours de sa vie, nous allons observer la Callas tenter de reprendre en vain la maîtrise de son destin. Elle prend des leçons de chant pour essayer de recouvrer sa voix perdue et s’illusionne sur sa capacité à reprendre sa carrière. Elle reçoit un médecin qui a été sollicité par ses domestiques pour la diagnostiquer. Les résultats de l’examen ne seront pas bons. Elle est interviewée par une équipe de télévision réelle ou imaginaire qui l’interroge sur les grands moments de sa carrière et de sa vie. Ce sera pour elle l’occasion de se remémorer les faits marquants de son existence : la première fois qu’elle a chanté devant des soldats, son histoire d’amour avec Onassis (l’un des excellents moments du film, avec le formidable Haluk Bilginer), sa rencontre avec Kennedy, etc.
Il est clair que la trilogie Jackie–Spencer–Maria aurait dû être en fait une trilogie Jackie–Marilyn–Maria qui aurait permis de rendre cohérente cette trilogie d’un point de vue temporel, sur les années soixante et de graviter encore davantage autour du personnage central de JFK, Lady Diana étant un substitut de Marilyn, dont Andrew Dominik s’est chargé dans Blonde. Il sera beaucoup reproché à Pablo Larraín d’avoir raté l’aspect musical du film, peu convaincant, en effet, Angelina Jolie ne pouvant faire croire que la voix de la Callas peut sortir de son corps, étant condamnée à un play-back permanent. En revanche, dans les caprices de la diva, sa manière à la fois proche et distante de communiquer avec ses domestiques, la profondeur des décors viscontiens qui semblent célébrer par leur faste somptueux une fin de règne crépusculaire, Larraín a réussi à capter quelque chose de plus précieux qu’une simple illustration musicale qui ne paraît pas l’intéresser, l’effondrement d’une femme dans le gouffre de sa solitude, l’autodestruction d’une artiste qui avait su exprimer le meilleur d’un art.
RÉALISATEUR : Pablo Larraín NATIONALITÉ : germano-italienne GENRE : biopic, film musical AVEC : Angelina Jolie, Pierfrancesco Favino, Alba Rohrwacher, Haluk Bilginer, Kodi Smit-Mc-Phee, Vincent Macaigne, Valeria Golino DURÉE : 2h04 DISTRIBUTEUR : ARP Sélection SORTIE LE 5 février 2025