Magdala : Quand on n’a plus que l’amour

À Cannes, il est facile pour un film de passer inaperçu. Placé dans une sélection plus confidentielle, réalisé par un cinéaste peu identifié ou abordant un thème pas des plus attrayants : Magdala de Damien Manivel regroupe ces trois caractéristiques, et offre tout de même l’un des moments les plus beaux du festival.

Présenté à l’ACID, Magdala est le cinquième long-métrage de Damien Manivel. Tourné en 16 millimètres et faisant le choix d’une mise en scène radicale, le film annonce la couleur dès son carton d’introduction : il se veut comme « une rêverie sur les derniers jours de la vie de Marie-Madeleine », quand celle-ci s’exila après la mort de Jésus.

Tout d’abord, Damien Manivel donne à cette femme une corporéité différente de celles qui ont pu jouer son rôle par le passé. Il n’y a qu’à voir les précédentes actrices ayant interprété la figure de Marie-Madeleine : Rooney Mara dans Marie-Madeleine de Garth Davis en 2018, Monica Bellucci dans La Passion du Christ de Mel Gibson en 2004 ou encore Karen Black dans La plus grande histoire jamais contée de George Stevens en 1965. Toutes ont comme point commun d’être des femmes belles, minces, icônes de beauté du monde occidental. De son côté, Manivel confie le rôle à Elsa Wolliaston (qu’il avait déjà filmé dans son précédent film, Les Enfants d’Isadora), absolument splendide, qui donne à la figure religieuse une enveloppe corporelle nouvelle.

Mise à l’écart après la mort de Jésus, Marie-Madeleine se montre comme une femme cocon, au corps qui se referme sur lui-même, prêt à disparaître, adoptant presque la silhouette d’un pauvre bossu. Des yeux d’un clair transperçant, des cheveux gris, une peau noire ridée et couverte de guenilles débraillées, la vieille dame n’a définitivement plus l’allure qu’on lui aurait prêtée en temps normal. Elle peine à se mouvoir correctement, use d’une troisième jambe (une canne, de laquelle elle ne s’éloigne jamais) pour continuer d’avancer on ne sait où. À plusieurs reprises, dans le brouillard montagnard et entre les roches, on ne sait plus ce que l’on regarde. Une femme abandonnée ? Une créature mystique ? Une déesse déchue ? S’il y a bien une chose sur laquelle on ne doute pas, c’est le puissant amour qui guide ce personnage, apposant à ce corps visiblement faible une aura solide, une volonté indéfectible que rien ne fera fléchir. Magdala, bien que montrée sous un jour nouveau, n’aura jamais semblé aussi forte, et ce en grande partie grâce au travail impressionnant de son interprète.

Magdala est l’histoire d’un amour fantôme jamais résigné, dont la flamme subsiste jusqu’au dernier souffle. Il suffit de s’y abandonner, de le laisser nous pénétrer, pour en ressentir toute la beauté.

Le réalisateur ajourne son personnage dans un monde à part, une forêt sans fin dans laquelle elle erre à la recherche d’un moyen de rejoindre son bien-aimé. C’est là que le long-métrage touche au cœur du spectateur : cette femme dont la mention du nom renvoie au religieux, au sacré et à la bonté, se retrouve ici privée de tout, condamnée à une vie solitaire et ostracisée.

Rarement un réalisateur ne sera arrivé à ce point à faire ressentir la nature au cinéma. De bout en bout, Marie-Madeleine ne fait qu’un avec l’écosystème qui l’entoure, rentrant sans cesse en fusion avec ce dernier. Elle se nourrit de gouttes de pluie déposées sur les feuilles, pleure contre l’écorce sèche des arbres, se baigne dans l’eau claire de la rivière, et serpente le bois en se rappelant ce qu’elle était auparavant, une jeune femme aimée et aimante, au bras de l’homme tant regretté. Ainsi, bien qu’extrêmement contemplatif et presque muet, le film parvient à émouvoir grâce au portrait déchirant que le réalisateur et l’actrice dessinent au fur et à mesure. Déambulant sans but apparent, attendant la mort sans pour autant vouloir la provoquer. Seront récompensés par un superbe dernier acte ceux qui auront eu la volonté d’aller jusqu’au bout de ce voyage onirique aux plans des plus magnifiques.

Magdala est l’histoire d’un amour fantôme jamais résigné, dont la flamme subsiste jusqu’au dernier souffle. Il suffit de s’y abandonner, de le laisser nous pénétrer, pour en ressentir toute la beauté.

4

RÉALISATEUR :  Damien Manivel
NATIONALITÉ : France
AVEC : Elsa Wolliaston
GENRE : Drame
DURÉE : 1h18
DISTRIBUTEUR : Météore Films
SORTIE LE 20 juillet 2022