Almodóvar a toujours été du côté des femmes. Disons-le, s’il existe un metteur en scène de la sororité, c’est sans nul doute Pedro Almodóvar, bien plus que beaucoup de femmes. On se souvient de la communauté de femmes dans Tout sur ma mère, de l’amitié féminine mise en exergue dans Volver. Madres paralelas appartient d’office à cette thématique constante almodovarienne, en mettant au centre de son intrigue la relation entre deux femmes de générations différentes qui vont accoucher en même temps d’enfants dont les destinées seront irréductiblement liées. C’est du Almodóvar dans le texte, une énième variation autour d’un univers aujourd’hui parfaitement identifiable. Néanmoins notre cher Pedro a glissé ici et là d’infimes changements qui montrent que son monde imaginaire évolue imperceptiblement.
Janis, une photographe de quarante ans, tombe enceinte de Arturo, archéologue, rencontré lors d’une séance photo. Elle décide de garder l’enfant, même si son amant est marié et ne souhaite pas quitter sa femme, gravement malade. A l’hôpital, Janis sympathise avec Ana, une adolescente, enceinte également. Elles accouchent en même temps de deux filles, Cécilia et Ana…
Madres paralelas possède sans doute un des plus beaux plans du cinéma d’Almodóvar, l’un des plus justes, celui qui conclut le film, en réconciliant le passé et l’avenir en un seul regard.
Depuis l’échec des Amants passagers (2013) qui avait signifié pour Pedro Almodóvar l’impossibilité de retourner au ton insouciant et léger de la Movida, son cinéma est devenu grave, voire d’une noirceur inattendue. Certes les couleurs de son univers cinématographique demeurent toujours aussi pimpantes, allant du rose bonbon à toutes les nuances pastel. Néanmoins, Almodóvar a ainsi enchaîné le mélancolique Julieta, le profondément dépressif Douleur et gloire et donc aujourd’hui le résilient Madres paralelas. Il faut noter que, même lorsque les malheurs les plus terribles s’abattent sur ses protagonistes, Almodóvar tient toujours à préserver une note finale d’espoir. C’était le cas dans Douleur et gloire, où le film, par un surprenant retournement de situation, se terminait plutôt bien, alors que le personnage principal souffrait pendant toute la durée du film. C’est aussi le cas de Madres paralelas qui se termine bien mieux que ne pouvait le laisser croire la tournure générale de l’intrigue.
La campagne publicitaire du film évoque à son sujet » le meilleur film d’Almodóvar depuis Tout sur ma mère« . C’est à la fois vrai et faux. Faux car le meilleur film d’Almodóvar depuis Tout sur ma mère demeure Parle avec elle, de très loin, une oeuvre où l’émotion allait de soi, sans avoir besoin recourir aux procédés mélodramatiques quelque peu usagés et forcés. Vrai tout de même car depuis ces sommets que sont respectivement Tout sur ma mère et Parle avec elle, la récente période d’Almodóvar fait partie des meilleurs moments de son oeuvre, bien plus que ses films de La Mauvaise éducation à La Piel que habito, trop touffus ou exagérément secs. Madres paralelas est pourtant une oeuvre discrète qui joue plutôt profil bas mais s’avère nettement moins anodine qu’elle n’y paraît.
Pourtant, comment distinguer Madres paralelas du reste de l’oeuvre du cinéaste madrilène? Au début, on croit se retrouver en territoire connu, très (trop) balisé alors que Almodóvar a ajouté un élément inhabituel dans ses créations habituelles, le rapport à l’Histoire. En effet, Janis est obsédée par l’idée de rouvrir un charnier de la guerre civile franquiste où pourrait avoir été enterré son grand-père. Cette relation inédite à l’histoire de son pays montre que Almodóvar inscrit pour la première fois son destin ainsi que celui de ses personnages dans un contexte historique qui les précède et les définit. De même, c’est la première fois qu’un symbolique passage de témoin a lieu dans l’oeuvre d’Almodóvar entre une génération et une autre. Penelope Cruz n’est plus la jeunette d’antan mais une survivante qui résiste du mieux qu’elle peut, aux avanies du temps et du destin, mettant en oeuvre le mot d’ordre de résilience. Elle exprime la douleur mais surtout le fait de la combattre pour la surmonter. Les mères ne sont plus celles de la génération antérieure, mais aussi une fille-mère adolescente (Milena Smit, authentique révélation) qui ouvre le cinéma d’Almodóvar vers une autre culture. Certes, le filmage almodovarien demeure classique et minimal, ayant dépassé depuis longtemps les outrances baroques d’une autre époque, celle des années quatre-vingts. Pour Almodóvar, filmer ce n’est plus déplacer sa caméra dans tous les sens, c’est surtout filmer juste. Or Madres paralelas possède sans doute un des plus beaux plans du cinéma d’Almodóvar, l’un des plus justes, celui qui conclut le film, en réconciliant le passé et l’avenir en un seul regard.
RÉALISATEUR : Pedro Almodóvar NATIONALITÉ : espagnole AVEC : Penelope Cruz, Milena Smit, Israel Elajalde GENRE : Drame DURÉE : 2h DISTRIBUTEUR : Pathé SORTIE LE 1er décembre 2021