Machtat : la désacralisation du mariage

Le documentaire de Sonia Ben Slama, Machtat (présenté dans la sélection ACID Cannes 2023) revient sur l’importance du mariage dans les sociétés musulmanes, un événement sacré symbolisant les relations déséquilibrées entre l’homme et la femme. Plus qu’une union, se marier est aussi une garantie d’intégration sociale, éclipsant cependant ce qui constitue les piliers fondamentaux du mariage, l’amour en premier. La documentariste filme ces femmes, ces machtat, des musiciennes officiant dans l’accompagnement musical de ce type de cérémonie. Au son des instruments de musique et des voix entraînantes, ce documentaire expose une vision de l’union conjugale, différente de celle des cultures européennes, évoquant également la véritable et fragile position des femmes dans ce schéma amoureux. Même s’il mélange beaucoup d’éléments, Machtat reste intéressant dans son propos. Suivre le quotidien délicat et précaire de Fatma et sa famille révèle des vérités devant être connues. Avec pudeur et respect, Sonia Ben Slama et sa caméra s’invitent avec délicatesse dans cette existence où le mariage est un commerce.

Fatma, Najeh, Waffeh, et d’autres femmes, travaillent comme musiciennes de mariages. Professionnelles dans leurs fonctions, la joie qu’elles affichent dénote par rapport à leurs parcours personnels aux antipodes du bonheur.

Un documentaire reste encore et toujours un moyen de partir à la découverte du monde, découvrir d’autres cultures, comprendre et analyser d’autres traditions. Machtat fait partie de ces œuvres revêtant une certaine importance, notamment grâce à sa manière de sensibiliser, d’informer sur les coutumes arabes. En filmant la vie de ces femmes dont le métier est d’apporter une note musicale à un événement festif, Sonia Ben Slama nous invite à la réflexion, à la compréhension de cette étape sacrée, ce rite traditionnel semblant capital dans les pays musulmans.

Derrière cette culture du mariage se cache un message alertant sur les possibles déséquilibres de l’union, dans une société où les rapports entre sexes le sont aussi. Dans Machtat, la cérémonie est décrite comme une grande fête. Les musiques aux rythmes effrénées et les voix dynamiques des musiciennes accompagnent énergiquement un cérémonial préparé avec minutie et précision, les beaux maquillages complétant harmonieusement les magnifiques tissus. La caméra immortalise brillamment ces instants éphémères de toute beauté où la mariée se retrouve au centre des attentions, vêtue comme un cadeau offert à l’heureux élu. La magnificence de la cérémonie représente parfaitement l’importance du mariage, son extrême sacralisation et son immense dimension. Machtat l’exprime fort bien, ce jour béni des dieux reste un passage essentiel, inévitable dans le monde arabe, un symbole d’ascension et d’avancée sociale. Voir toutes ces petites mains œuvrant pour cette journée si particulière, apprécier ce travail organisé se mettant en images, sous le regard attentif d’une caméra observant les moindres détails… Tout ceci fait que ce documentaire contient autant de beauté que l’entièreté de ce moment magique et tant espéré par beaucoup d’entre nous. Évidemment, les sonorités apportent énormément à ce rituel coutumier, et à cette procession conjugale menée tambour battant dans les rues du village, la musique exprimant alors les notions d’amour et ses promesses. En filmant cela, Sonia Ben Slama expose une façon de célébrer, différente de la nôtre, ancrée dans les traditions ancestrales, rappelant de manière éloquente à quel point le mariage répond à un schéma universel où le célibat est quasiment proscrit, et où les règles sont strictes, en particulier pour les femmes. Machtat ne se contente pas de filmer des fausses joies, il décrit aussi les dessous moins glorieux de ce rite obligatoire, devenant un gagne-pain pour cette famille qui se dévoile sur grand écran. Tout ce côté festif n’éclipse pas le mal-être d’une population féminine soumise et assujettie à des lois scandaleuses.

Mahdia, Tunisie, Fatma, Najeh, Waffeh… Voici les prénoms de ces femmes que Machtat met à l’honneur. Si elles animent avec vigueur et implication toutes ces fêtes, leurs quotidiens sont plus complexes qu’il n’y paraît, entre pression financière permanente et modèle familial instable. En étant prises dans le piège du patriarcat, d’une domination masculine bien présente, pouvoir s’investir dans l’organisation des cérémonies leur procurent le plaisir qu’elles n’éprouvent pas quotidiennement, la musique étant un exutoire, une issue utile et nécessaire dans laquelle elles se sentent à leur place. Durant toute la durée de ce documentaire, Sonia Ben Slama leur donne un espace de parole, de témoignage, loin des oreilles des hommes, constamment hors-champ et dont on n’entend que les voix. De ces confessions accouchent de bien tristes révélations. Entre violence, possession et manipulation, les récits de vies tourmentées interrogent violemment sur la question du modèle familial en vigueur dans ces pays, et sur les femmes se trouvant dans une situation d’infériorité, réduites à l’état d’objets ou de simples marchandises. Le documentaire dénonce des faits non négligeables, en établissant un saisissant contraste entre la grandiloquence des mariages et les problèmes intra-familiaux, un déséquilibre que Machtat ne cesse de décrire intelligemment, avec uniquement le point de vue des membres féminins de cette famille, ce petit cercle servant de prétexte pour analyser la sombre réalité se cachant sous un cérémonial bien trompeur. Très informative, cette œuvre prend le chemin de la désacralisation, en expliquant les ténébreuses coulisses de ce qui est une véritable institution. La prise de conscience autour d’un système à sens unique défavorisant les femmes et favorisant les hommes dans leurs positions honteuses est bien là, omniprésente, enlevant même ce qu’il y a de beau dans un tel moment, avec l’impression que se marier est une contrainte forcée, non un bonheur ;

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RÉALISATEUR :   Sonia Ben Slama
NATIONALITÉ : Tunisie, Liban, France, Qatar
GENRE :  Documentaire
AVEC : Fatma Khayat , Najeh Ghared et Waffeh Ghared
DURÉE : 1h22
DISTRIBUTEUR : 
SORTIE LE