Rose Glass s’est fait connaître en plein confinement avec Saint Maud, un long métrage horrifique, remportant en 2020 quatre prix au Festival du Film Fantastique de Gérardmer, dont le Grand Prix, le Prix de la Critique et celui du Jury Jeunes. Très jeune, elle n’avait que 29 ans lorsqu’elle a réalisé Saint Maud et apparaissait comme la chef de file d’un certain cinéma d’horreur investi par des jeunes réalisatrices britanniques (The Power de Corinna Faith, She will de Charlotte Colbert, Censor de Prano Bailey-Bond, films datant tous de 2021). Le film de genre permettait ainsi à de jeunes femmes d’exprimer des obsessions et préoccupations à l’égard des genres sexuels. Avec Love lies bleeding, Rose Glass maintient cette obsession des corps et du sang mais l’incarne dans un autre genre, si l’on peut dire, voire une multiplicité de genres couvrant une bonne partie du cinéma américain. A la fois relecture du film noir à la manière des Coen, conte surréaliste du côté des frères Grimm et réinterprétation féministe des films bodybuildés des années 80, Love lies bleeding confirme le talent très singulier de Rose Glass.
Au Nouveau-Mexique, dans les années 80, Lou gère toute seule une salle de sports un peu minable, léguée par son père, un mafieux sans scrupules avec qui elle n’a plus de rapports, bien qu’habitant toujours la même ville. Sa mère ayant disparu mystérieusement sans laisser de traces, tandis que sa soeur Beth souffre de violences conjugales répétées de la part de son mari J.J,, Lou traîne son existence morne jusqu’à ce que surgisse dans sa salle de sports, Jackie, une culturiste bisexuelle qui souhaite passer un concours à Las Vegas.
A la fois relecture du film noir à la manière des Coen, conte surréaliste du côté des frères Grimm et réinterprétation féministe des films bodybuildés des années 80, Love lies bleeding confirme le talent très singulier de Rose Glass.
Dans Saint Maud, premier film presque déjà culte, qui n’a malheureusement pas obtenu les honneurs d’une sortie salle en France, étant seulement diffusé sur Canal Plus, Rose Glass montrait à travers le film de genre l’histoire d’un attachement étrange entre une infirmière, Maud, (l’étonnante Morfydd Clarke) et sa patiente, Amanda (Jennifer Ehle), ex-danseuse, aux frontières de l’agonie. L’infirmière, atteinte de troubles psychiques, était traversée par des visions qui lui enjoignaient une mission quasi-messianique, sauver l’âme de sa patiente. La relation était ainsi discrètement teintée de lesbianisme potentiel et de visions surréalistes préservant l’indécidable sur le devenir-sainte de la protagoniste.
Love lies bleeding reprend en pointillé ces éléments mais de manière plus exacerbée et surtout en les transposant dans l’Amérique des années 80. Rose Glass se livre ainsi à une réinterprétation féministe des films de « gros bras » de cette décennie-là, en se focalisant sur le personnage de Jackie, culturiste gonflée à doses d’anabolisants, surpuissante, aussi à l’aise dans la dévoration sexuelle que dans l’écrasement de mâchoires. Quant à Lou, (sensible Kristen Stewart, à mille lieues de son image glamour), elle doit lutter contre deux exemples de masculinité toxique : son père (Ed Glenn, monstrueux), responsable de nombreux meurtres, et son beau-frère J.J. (Dave Franco), violent et infidèle.
S’entremêlent donc dans Love lies bleeding (titre vaguement inspiré par sex, lies and videotape de Steven Soderbergh) une intrigue de film néo-noir rappelant les Coen revisités, un film de culturisme axé sur une femme, des détails de filmage complètement surréalistes (des failles évoquant des fentes vaginales, des visions de Jackie sous l’influence d’anabolisants, dont un vomissement en plein concours du corps de son amante Lou, enfin une métamorphose dans le style de Black Swan, où elle se retrouve finalement en géante). Le tout sous l’influence des Coen et de Verhoeven (le mauvais goût assumé de Showgirls est revendiqué par Rose Glass) produit un cocktail détonant, un thriller délicieusement amoral doublé d’une romance queer, instable comme la psyché de Jackie et explosif comme la voiture de J.J. balancée au bord d’une falaise.
RÉALISATRICE : Rose Glass NATIONALITÉ : anglaise, américaine GENRE : film noir, thriller, romance AVEC : Kristen Stewart, Katy O'Brian, Jena Malone, Ed Harris, Anna Baryshnikov, Dave Franco DURÉE : 1h44 DISTRIBUTEUR : Metropolitan FilmExport SORTIE LE 12 juin 2024