On a sans doute sous-estimé Laurent Lafitte. Jusqu’à une époque récente, on le prenait surtout pour un second couteau dans les films de Guillaume Canet et de Gilles Lellouche, ses anciens camarades du Cours Florent. Or si son éclosion a été plus tardive que celle de ses petits camarades, elle ne s’avère pas moins intéressante. Il fallait sans doute laisser décanter pendant une vingtaine d’années cette image trompeuse et trop lisse de gendre idéal pour laisser advenir des abîmes infiniment plus passionnants. Le tournant date du film Elle (2016) de Paul Verhoeven où il tenait le rôle du gentil (en apparence) voisin d’Isabelle Huppert. Depuis il a enchaîné quelques premiers rôles dans des films plutôt risqués et fort éloignés de son image initiale, K.O. de Fabrice Gobert, Paul Sanchez est revenu de Patricia Mazuy ou encore L’Heure de la sortie de Sébastien Marnier. Pour autant, on ne l’avait pas imaginé metteur en scène. Bien que provenant d’un matériau a priori non personnel (une pièce de Sébastien Thiéry), L’Origine du monde représente une formidable réussite, sans doute la comédie pure la plus hilarante depuis très longtemps, dépourvue de la moindre once de vulgarité et faisant oublier très vite son origine théâtrale.
Que dire de plus, sinon qu’on avait oublié qu’on pouvait aller à une comédie française, en riant du début jusqu’à la fin, sans la moindre honte ? Rien que pour cela, merci Monsieur Laurent Lafitte.
Jean-Louis Bordier, avocat, ne s’entend plus trop avec sa femme et s’ennuie à son cabinet. Il en discute parfois avec son meilleur ami, Michel, un vétérinaire. Jusqu’à ce qu’un jour son coeur le lâche…Il continue pourtant à vivre.
Pour son premier film, on aurait pu s’attendre à un film écrit par Laurent Lafitte, ce dernier s’étant illustré par un Seul en scène, coécrit avec Cyrille Thouvenin, intitulé Laurent Lafitte, comme son nom l’indique. Laurent Lafitte a préféré esquiver la dimension autobiographique, sempiternelle et souvent plus que gênante des premiers films. Pour son coup d’essai derrière la caméra, il a choisi de moins se révéler a priori en adaptant une comédie de boulevard écrite par un ancien camarade du cours Florent (oui, encore) et du Conservatoire, Sébastien Thiéry, dont les gens se souviennent autant pour sa nudité sans fards à la Nuit des Molières 2015, qui a eu le chic de choquer la Ministre de la culture de l’époque, Fleur Pellerin, que pour ses pièces.
Or Laurent Lafitte ne s’est pas contenté d’illustrer cette pièce éponyme ; il l’a réellement adaptée en écrivant tout un prologue tout aussi hilarant à l’évènement fondateur de la pièce, en donnant une autre dimension au personnage de la mère, merveilleusement interprété par Hélène Vincent, dans un registre totalement différent de celui d’Isabelle Sadoyan, récompensée en son temps par le Molière du meilleur second rôle, et en supprimant ou rajoutant des répliques, pour le souci du rythme du film. Il serait quasiment criminel de révéler ce qui se passe après l’arrêt du coeur de Jean-Louis Bordier, même si le titre de la pièce fournit une indication détournée sur ce point. Sachez juste qu’il est préférable de ne rien savoir pour mieux profiter de l’imbroglio invraisemblable dans lequel le protagoniste s’est fourvoyé et de la cascade de rires qui s’ensuit dans la salle.
L’Origine du monde représente une formidable réussite, sans doute la comédie pure la plus hilarante depuis très longtemps, dépourvue de la moindre once de vulgarité et faisant oublier très vite son origine théâtrale.
Plus profond qu’il ne paraît, L’Origine du monde interroge donc les origines du protagoniste, ce qui l’amènera à des découvertes bouleversantes. Laurent Lafitte orchestre ce remue-ménage de manière très buñuelienne, dérivant vers un absurde libérateur de toutes les normes, explosant les tabous. La direction d’acteurs se révèle absolument exemplaire : Hélène Vincent déjà nommée, Laurent Lafitte parfait en anti-héros veule, Karin Viard excellente dans un retour à son registre comique et enfin l’inénarrable Vincent Macaigne, imberbe pour une fois, qui fournit au film, comme au dernier Emmanuel Mouret, ses plus beaux délires de folie pure, tout en préservant une rare émotion. Que dire de plus, sinon qu’on avait oublié qu’on pouvait aller à une comédie française, en riant du début jusqu’à la fin, sans la moindre honte ? Rien que pour cela, merci Monsieur Laurent Lafitte.