Lire Lolita à Téhéran : femme, livres, révolution

Lire Lolita à Téhéran a été un immense succès en 2003 pour l’autrice iranienne Azar Nafisi, étant célébré comme l’un des livres de la décennie des années 2000. Il a pourtant fallu plus de vingt ans pour l’adapter au cinéma. Projet hybride, tourné en Italie, à Rome, scénarisé par une Americaine, photographié admirablement par une Française (l’exceptionnelle Hélène Louvart), réalisé par un Israélien confirmé et expérimenté, Eran Riklis, (Une femme syrienne, Les Citronniers) et interprété par une belle troupe de femmes iraniennes exilées, Lire Lolita à Téhéran tient pourtant ses promesses, en tant qu’adaptation classique, fidèle et scrupuleuse du livre, et surtout manifeste pour une libération de la femme et une révolution face à la République Islamique d’Iran. Depuis les manifestations de 2022 qui ont suivi la mort de Jina Mahsa Amini, une jeune femme iranienne de 22 ans assassinée par la police des Mollahs, Lire Lolita à Téhéran a pris récemment une poignante et troublante actualité.

Passionnée de littérature, la professeure et écrivaine iranienne Azar Nafisi a suivi de brillantes études dans les années 70, aux Etats-Unis et en Angleterre. Elle revient en Iran en 1979, après la destitution du Shah d’Iran, croyant en un possible avenir meilleur pour son pays. Elle déchantera assez vite, suite à son refus de porter le voile islamique. Elle continuera à enseigner clandestinement la littérature au sein d’un club de lecture de sept femmes. Elle y fera l’apprentissage de la sororité et de l’insubordination.

Sur presque un quart de siècle, entre 1979 et 2003, Lire Lolita à Téhéran dresse l’état des lieux d’une société iranienne qui ne s’est guère améliorée entre-temps depuis Femme, vie, liberté. Le film nous confie néanmoins que l’espoir repose largement sur le pouvoir des livres et la capacité d’émancipation, en particulier, des femmes.

Tous ceux qui aiment profondément les livres et la littérature ressentiront d’emblée un frisson lors de la première scène du film, quand Azar Nafisi (Golshifiteh Farahani, parfaite) revient en Iran et se trouve suspectée par un contrôleur des douanes besogneux qui considère les livres d’Azar d’un air sourcilleux, n’ayant sans doute jamais entendu parler de Vladimir Nabokov ou Henry James. Ces livres apparemment inoffensifs représenteraient-ils un danger pour la République islamique d’Iran? On répondrait a priori non mais en fait le contrôleur a raison. En faisant entrer les livres sur le territoire iranien, c’est un vent de liberté qu’il fait entrer par mégarde. Le film reprend d’ailleurs en tête de chapitres (quatre au total), les titres de quatre livres considérés comme pernicieux : Gastby le Magnifique, de F. Scott Fitzgerald, Lolita de Vladimir Nabokov, Daisy Miller de Henry James, et Orgueil et préjugés de Jane Austen, De liberté à rébellion, il n’existe qu’un pas et de même, entre rébellion et révolution, C’est ce que montre Lire Lolita à Téhéran : les livres représentent de la matière inflammable, explosive parfois. Ils sont souvent le résultat d’esprits frondeurs, provocateurs, insoumis et en eux réside l’étincelle de la résistance.

« Démissionnée » de son poste à l’université de Téhéran, Azar va alimenter le feu de la révolte, en animant un club clandestin de lecture, rassemblant sept femmes de toutes confessions et de toutes origines sociales. Son but n’est pourtant pas politique ni militant mais elle va s’apercevoir progressivement que la littérature est un instrument d’affranchissement, permettant aux esprits de se libérer de leur joug. C’est ainsi Nassrin (Mina Kavani) qui, la première, aura l’idée de partir d’Iran, comme l’ont fait la plupart des actrices de la distribution. Elle en donnera l’idée à Azar. C’est aussi une autre, Azin (Lara Wolf) qui se fait battre injustement par son mari. C’est encore une autre, Sanaz (Zar Emir), qui doit se soumettre à un examen de virginité et reçoit des coups de fouet pour une vie personnelle relativement libre. C’est aussi la plus jeune, Yassi (la vibrante Isabelle Neffar) qui confessera penser souvent au sexe et se demander si c’est mal, avant d’être rassurée par toutes ses consoeurs. A travers toutes ces expériences relatées par ses collègues du club de lecture, et en les confrontant à la littérature, Azar prend encore davantage conscience du monde rétrograde dans lequel elle vit, et nous fait partager sa consternation.

Ce monde est dangereux et injuste, et l’une des grandes qualités du film, c’est de nous faire comprendre sans esbroufe comment il peut l’être. Azar déjeune avec un vieil ami ; or c’est désormais interdit si l’on n’est pas lié par les liens du mariage. La règle est inique ; pourtant Azar va tout de même se cacher derrière son voile pour ne pas risquer d’être arrêtée et emprisonnée. Lors du même déjeuner, Azar va évoquer un livre arrivé en Iran clandestinement via un journaliste étranger. A un autre moment, elle assistera à une projection du Sacrifice de Tarkovski, en version douloureusement censurée. Riklis n’en rajoute pas mais cela suffit pour décrire et faire comprendre de l’intérieur ce régime autoritaire et ses contraintes et restrictions au quotidien.

Sur presque un quart de siècle, entre 1979 et 2003, Lire Lolita à Téhéran dresse l’état des lieux d’une société iranienne qui ne s’est guère améliorée entre-temps depuis Femme, vie, liberté. Le film nous confie néanmoins que l’espoir repose largement sur le pouvoir des livres et la capacité d’émancipation, en particulier, des femmes.

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RÉALISATEUR : Eran Riklis 
NATIONALITÉ :  italo-israélien
GENRE : drame
AVEC : Golshifiteh Farahani, Zar Amir Ebrahimi, Mina Kavani
DURÉE : 1h47 
DISTRIBUTEUR : Metropolitan Filmexport
SORTIE LE 26 mars 2025