Déjà la quatrième réalisation pour Louis Garrel, qui continue d’évoluer dans deux carrières parallèles : le Louis Garrel acteur, qui impressionne par ses choix éclectiques, et le Louis Garrel auteur-réalisateur, qui persiste à imposer sa patte. Après son dernier film, La Croisade, qui avait largement refroidi le public l’année dernière, il revient à Cannes cette année, hors compétition, avec L’Innocent, une comédie étonnante à mi-chemin entre Marivaux et un film de casse.
Dans ce nouveau film, Abel apprend que sa mère va de nouveau se marier avec Michel, tout juste sorti de prison. Paniqué par le potentiel danger que cet homme représente, et aidé de sa meilleure amie Clémence, Abel tente de démasquer Michel et de dévoiler ses réelles intentions. Une mission qui vire rapidement au fiasco, et portée par des personnages écorchés vifs à l’écriture exquise.
Par deux fois, dans son film, le fait de jouer, d’interpréter, de se fondre dans la peau d’un autre, mène à la naissance d’un amour, à la rencontre entre deux êtres qui n’attendaient que de se trouver.
L’innocent compte plusieurs qualités, mais sa plus importante est définitivement sa troupe d’acteurs et d’actrices. À commencer par Anouk Grinberg, discrète sur nos écrans depuis un moment, qui revient ici dans un rôle délicat qu’elle porte avec brio, celui d’une femme candide, un peu naïve mais tellement attendrissante. Louis Garrel, lui, a vraisemblablement su garder et perfectionner le tempo comique dont il avait fait preuve dans ADN de Maïwenn (film dont il était bien la seule qualité). Ils forment ensemble un duo mère-fils souvent hilarant, parfois touchant, et toujours juste. Mais c’est sans compter sur les deux autres comédiens de ce fabuleux quatuor, ceux que l’on pourrait qualifier de « pièces rapportées » : Roschdy Zem et Noémie Merlant. En effet, le film a le mérite de révéler les potentiels humoristiques de ces deux acteurs généralement attachés au drame. Le premier, vu récemment chez Arnaud Desplechin et Thierry de Peretti (pas les cinéastes les plus amusants, il faut bien le reconnaître), met à profit sa stature et son charisme froid pour inverser la tendance et crée un personnage indéfinissable, qui représente tout le mystère du long-métrage. Merlant, elle, après nous avoir impressionné chez Céline Sciamma et Jacques Audiard, fait preuve d’une drôlerie qu’on ne lui connaissait pas, explorant ainsi de nouvelles facettes de son talent qui paraît décidément inépuisable.
Tous deux s’incorporent parfaitement dans ce long-métrage qui tire justement sa force dans son changement constant de registre. Avec une aisance parfois déconcertante, Garrel passe de la comédie au marivaudage, de la romance au polar, multipliant les effets de mise en scène sans jamais être dans le surdosage. Sa bande originale aussi, mélange de sonorités vintage et de musique des 80’s, donne à l’ensemble un élan énergique, portant le film là où on ne l’attendait guère.
De plus, Louis Garrel y déclare l’importance que l’art, et plus particulièrement le théâtre, peut avoir dans les vies de ses adeptes. Par deux fois, dans son film, le fait de jouer, d’interpréter, de se fondre dans la peau d’un autre, mène à la naissance d’un amour, à la rencontre entre deux êtres qui n’attendaient que de se trouver.
Et au milieu de ces histoires d’amour qui se croisent et se décroisent, c’est la relation entre une mère et son fils qui nous émeut le plus. Car, même si le réalisateur se montre ingénieux et s’essaie à différents styles, il arrive à faire de son film une œuvre des plus personnelles, s’épanchant sur le lien maternel et son statut indéfectible.
L’innocent, bien qu’imparfait (le film s’épuise de lui-même à certains moments), se hisse facilement en tête des réalisations de Garrel, qui semble enfin avoir trouvé sa voix/voie de cinéaste.
RÉALISATEUR : Louis Garrel NATIONALITÉ : Français AVEC : Louis Garrel, Noémie Merlant, Roschdy Zem, Anouk Grinberg GENRE : Comédie DURÉE : 1h39 DISTRIBUTEUR : Ad Vitam SORTIE LE 12 Octobre 2022