Limbo : noir, blanc et sang

Grand Prix du dernier Festival du Film Policier de Reims, décerné par un jury présidé par Cédric Jimenez, ainsi que Prix de la critique, Limbo de Soi Cheang, claque visuelle et choc d’une rare violence, se classe parmi les polars asiatiques les plus barbares et sauvages. Un tueur d’une brutalité inouïe, pervers et fétichiste, un policier au bout de ses forces, obsédé par la résolution de ces crimes abjects… Ce film hallucinant de malsanité, optant pour une violence brute, décrit, grâce à un noir et blanc sublime, les immondices et les saletés d’une ville d’Hong-Kong enlaidie par des bas-fonds crasses et poisseux, un climat d’une noirceur extrême que le cinéaste utilise pour raconter un récit de tueur en série, dérangeant, avec une atmosphère résolument mortifère et légèrement horrifique. Pour son nouveau long-métrage, Soi Cheang frappe un grand coup, avec ce film qui prend aux tripes grâce à ce déversement de rage et de sauvagerie, créant une spirale de folie meurtrière et d’obsessions policières.

Des femmes sont retrouvées mortes, la main gauche coupée. Deux inspecteurs décident d’utiliser une délinquante pour appâter le tueur.

Des histoires de traque, de lutte de policiers contre des tueurs en série, le cinéma en a proposé, aussi du côté asiatique. On se souvient d’œuvres mémorables comme Memories of Murder, J’ai rencontré le diable, Cure, et Limbo s’inscrit parfaitement dans la lignée de ces films-là, y puisant même fortement ses inspirations.

Soi Cheang met en place un schéma obsédant, nerveux, glauque, en décrivant des quartiers hongkongais d’une pauvreté absolue, avec ces ordures jonchant les rues, ces voitures poussiéreuses, ces immeubles en délabrement avancé… Autant d’éléments contribuant à l’installation d’un climat toxique, et déjà psychologiquement dur, dans lequel se passent des actes d’une grande barbarie commis par un assassin doté d’un esprit aimant les pires déviances, torturant de faibles victimes miséreuses. Nous voici prenant part à cette recherche, cette course contre un homme fou à lier s’en prenant à des femmes, en suivant les enquêtes de terrain d’un duo de policiers dont le seul objectif est d’arrêter ce déferlement d’assassinats horribles. À peu de chose près, Limbo devient comparable au film de Bong-Joon-Ho, cité précédemment, évoque des investigations menées avec une obsession indescriptible, mais va plus loin dans la représentation de l’abject et de la cruauté sans nom, n’hésitant pas à filmer des horreurs indicibles accentuées par la présence justifiée de ce noir et blanc qui rend certaines scènes choquantes et percutantes, un choix esthétique procurant fureur et agressivité. Cet affrontement sans pitié rappelle également The Chaser, de Na Jong-Jin, où il existe aussi ce schéma de duel, de traques incessantes contre le Mal incarné, ces tueurs de femmes. Très référencé, Limbo se passe par ailleurs dans un milieu d’une grande misère, peuplé de toxicomanes ou autres personnes en perdition, un vivier intéressant pour un meurtrier cherchant des proies faciles.

Avec ses quelques influences et ses intentions, le metteur en scène ajoute sa touche personnelle, multipliant les séquences marquantes, quitte à enfermer son spectateur dans des images terrifiantes et glauques, avec ces corps meurtris jetés dans des bennes.

En filmant ces plans de cadavres putréfiés et mutilés, Soi Cheang provoque, crée le malaise, et franchit les limites en proposant un thriller délibérément macabre, déconseillé aux âmes sensibles. La violence est à son paroxysme, et ce personnage de tueur finit d’achever cette ambiance mortifère. Peu causant, mais à l’allure robuste et possédant une folie barbare, celui-ci en impose, à tel point que le réalisateur en fait sans doute l’un des meurtriers en série les plus malaisants du cinéma, avec ce mélange de perversité, de fétichisme et de pulsions ultraviolentes. Limbo s’inspire ainsi de Seven, de David Fincher, avec ce désir de souffrance et ces mutilations. L’autre aspect de ce long-métrage réside dans ce binôme policier, déséquilibré, avec un homme aux méthodes radicales et expéditives, hanté par la mort, et un jeune inspecteur, propre sur lui et désireux de suivre les procédures à la lettre. Pourtant peu empathiques, ces deux personnages s’unissent pour faire face à la pression, s’embarquant dans un milieu populaire hostile, à la rencontre d’un véritable boucher. À la manière de J’ai rencontré le diable, Limbo raconte un périple macabre, ainsi qu’un cheminement policier obsessionnel, jusqu’à une dernière partie tout simplement parfaite. Soi Cheang propose une brillante mise en scène, excelle dans la création de cet univers froid, aidé par le choix de ce noir et blanc qui, comme dans Une Pluie sans fin, n’en finit plus de décrire ces zones urbaines abandonnées, sales, et cette pluie battante qui vient charrier son lot de tristesse et de mélancolie.

 

5

RÉALISATEUR : Soi Cheang
NATIONALITÉ :  Hong-Kong, Chine
GENRE : Thriller
AVEC : Ka Tung Lam, Mason Lee, Yase Liu, Hiroyuki Ikeuchi
DURÉE : 1 h 59
DISTRIBUTEUR : Kinovista
SORTIE LE 12 juillet 2023