Life of Chuck : danse sur un volcan

Rarement un écrivain a autant été adapté au cinéma que Stephen King. Depuis 1974, donc plus de cinquante ans et la publication de son premier roman, Carrie au bal du Diable, son oeuvre est intimement liée aux répercussions des adaptations de ses romans au cinéma et à la télévision qui prolongent savamment le plaisir de leur lecture. Certains grands cinéastes l’ont adapté sur grand écran avec une réussite incontestable : Brian De Palma (Carrie), Stanley Kubrick (Shining), David Cronenberg (Dead Zone), John Carpenter (Christine), Rob Reiner (Stand by me, Misery). D’autres cinéastes moins réputés ont su montrer une compréhension profonde des enjeux de l’oeuvre de Stephen King : Frank Darabont (Les Evadés, La Ligne verte, The Mist), Mick Garris, ami de l’écrivain, détenant le record d’adaptations de Stephen King (Riding the bullet, Shining: les couloirs de la peur). Mike Flanagan appartient plutôt à la seconde catégorie, s’étant spécialisé dans le registre de l’horreur et ayant déjà adapté avec succès deux romans de King (Jessie, Doctor Sleep). Life of Chuck est ainsi sa troisième adaptation de l’écrivain et probablement son film le plus accessible et grand public, ainsi que le plus profond d’un point de vue philosophique, ce qui n’est pas forcément contradictoire.

Marty Anderson, professeur de lycée, rentre chez lui et se trouve pris dans des embouteillages. Le monde semble proche d’une fin imminente, les catastrophes naturelles se multipliant de plus en plus. Un panneau publicitaire l’intrigue, vantant les trente-neuf ans de vie formidable de Charles « Chuck » Krantz. 

La mise en scène de Flanagan, signant probablement son meilleur film, accompagne discrètement, sans la moindre esbroufe, cette analyse du destin d’un homme, flamme vacillante dansant au-dessus du volcan de la mort.

Contrairement à certaines autres oeuvres de Stephen King, plus directement horrifiques, (par exemple Ça, adapté par Andres Muschietti), Life of Chuck se situe dans le registre plus humaniste, mainstream et méditatif de l’oeuvre, comparable aux Evadés et à La Ligne verte de Darabont, ou Stand by me de Reiner. Certes le film est discrètement teinté de fantastique mais il ne faudra pas s’attendre à des jump scares sans fin, l’ambiance du film étant globalement dystopique, sans effets de manche spectaculairement inutiles. Le film, construit en trois parties, comme le court roman, baigne au début dans une atmosphère de fin du monde, sombre et angoissante, avant de s’éclaircir dans des chapitres appartenant au passé, avant de s’assombrir définitivement par une mise en perspective finale du destin du protagoniste principal.

Le spectateur pourra même considérer que le style de Mike Flanagan qui a fait ses preuves dans le registre horrifique contribue par petites touches à déterminer la couleur de l’ensemble, et à laisser planer une angoisse diffuse, même lorsque le contenu semble a priori anodin, se focalisant sur une séquence de danse entre deux adolescents qui va fixer l’essentiel de leur destin pour les trente années à venir. C’est la réussite de Life of Chuck de ne pas jouer sur la peur et l’efficacité immédiate, et de montrer, par des effets de parallélisme et de mise en perspective, la fragilité ténue de l’existence humaine : lorsque Marty revient sur toute l’histoire de l’humanité en la condensant en une seule journée, ou quand Albie (Mark Hamill, méconnaissable en grand-père) explique la beauté des mathématiques à son petit-fils (excellent Jacob Tremblay, révélé par Room). La vie pourrait se résumer en définitive en quelques instants de bonheur liés à la pratique de la danse : un moment de danse partagée avec une inconnue, avec l’accompagnement d’une musicienne de rue ; un autre, trente ans plus tôt, avec une adolescente dans le traditionnel bal du lycée. Ce qui restera de nous, ce ne sera dans les mémoires de ceux qui nous survivront, que ces quelques moments de grâce fugitive, évanescente qui donnent tout leur prix à une vie qui ne cesse de nous échapper.

Cette excellente adaptation du court roman de Stephen King se révèle en tous points extrêmement fidèle au texte et au propos de l’écrivain, hormis deux détails modifiés (le genre du musicien de rue, devenu une femme dans le film, et la révélation du grenier qui est déplacée vers la fin, pour frapper encore davantage les esprits). « Je suis immense, je contiens des multitudes« , écrivait le poète Walt Whitman, dans Chant de moi-même, repris par Bob Dylan dans son plus récent album et explicitement cité dans Life of Chuck, pour exprimer le caractère intrinsèquement singulier et à la fois universel, inaltérablement précieux en définitive de toute expérience humaine. Chaque fois qu’un être meurt, quel qu’il soit, c’est tout un monde qui disparaît avec lui. La mise en scène de Flanagan, signant probablement son meilleur film, accompagne discrètement, sans la moindre esbroufe, cette analyse du destin d’un homme, flamme vacillante dansant au-dessus du volcan de la mort.

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RÉALISATEUR : Mike Flanagan
NATIONALITÉ :  américaine
GENRE : fantastique, drame 
AVEC : Tom Hiddleston, Mark Hamill, Chiwetel Ejiofor, Karen Gillan, Jacob Tremblay, Mia Sara
DURÉE : 1h50 
DISTRIBUTEUR : Nour Films
SORTIE LE 11 juin 2025