Adapté du roman éponyme de Nicolas Mathieu, prix Goncourt 2018, le film est une véritable petite madeleine de Proust pour ceux qui ont vécu leur jeunesse dans les années 1990. Nous y suivons en effet le parcours du jeune Anthony de ses 14 ans en 1992 jusqu’en 1998, avec en arrière-fond un paysage de friche industrielle, celui des hauts fourneaux d’un petit village de la Moselle. Autant dire que l’ennui guette comme le souligne la première réplique du film – « On s’emmerde! » – alors quand une jeune fille invite Anthony et son cousin à une partie festive dans une villa de luxe, les deux adolescents se jettent sur l’occasion. Reste le problème de la locomotion. Alors, Anthony emprunte sans rien lui dire la moto de son père et vogue la galère. Anthony, allure pataude, épaules voûtées, tête basse, fait l’apprentissage d’une vie dans laquelle il entre en catimini.
C’est l’histoire d’un adolescent avide d’en découdre avec le monde extérieur, plein d’un amour qui ne demande qu’à s’exprimer mais aussi d’une rage toujours prête à éclater. Enfermé dans les limites étroites d’une petite ville de province, il rêve d’ailleurs un jour d’aller à Austin dans le Texas. Le milieu ouvrier y est décrit à travers le couple des parents d’Anthony, avec un père qui fait ce qu’il peut, mais au caractère rude et rongé par le quotidien de l’alcoolisme. Autant dire que l’alcoolisme ouvrier est un thème cher à une certaine littérature depuis Emile Zola et son chef-d’œuvre L’Assommoir mais le film évite l’écueil d’en faire trop sur le sujet et insiste surtout sur les conséquences à long terme de ce qui reste une maladie. En effet, c’est ainsi que Anthony finira par renier son père, occasion pour le film de nous offrir une scène d’un contraste saisissant entre le thème de l’amour – représenté par Anthony ayant une relation sexuelle avec une jeune fille à l’arrière d’une voiture – et celui de la mort symbolique et physique incarné par le père ivre sous les feux du 14 juillet, errant hagard au milieu du bal, repoussé par sa femme et ignoré par son fils dont il voit qu’il n’a plus rien à lui apprendre. Scène d’un pathétique qui va jusqu’au bout de ce que peut entraîner la misère sociale.
C’est l’histoire d’un adolescent avide d’en découdre avec le monde extérieur, plein d’un amour qui ne demande qu’à s’exprimer mais aussi d’une rage toujours prête à éclater.
La question se pose d’ailleurs de la transmission. On sent dès l’abord que les choses ne se passent pas comme il le faudrait entre les parents d’Anthony. On entend ces derniers se disputer hors du champ de la caméra et le père de confier à son fils que grand bien lui fera si son épouse le quitte. Fanfaronnades évidemment tant le film nous montre à quel point il est attaché à sa femme. Ainsi, ce n’est que quand les choses nous quittent que nous ressentons combien nous en avions réellement besoin. Le modèle paternel comme celui du couple en ressortent forcément écornés. C’est pourtant à travers ces références que Anthony se construit : ne reproduit-il pas le comportement de son père indéfectiblement amoureux de sa femme même après leur séparation quand, année après année, il revient toujours aux pieds de la même jeune fille lui déclarer son amour. Mais, si les deux jeunes gens rêvent d’ailleurs, Anthony semble voué à rester irrémédiablement collé à la petite ville qui l’a vu naître, multipliant les petits boulots pour survivre, tandis qu’elle appartient à un milieu social plus élevé et continue ses études dans la perspective de quitter définitivement le foyer familial pour la grande ville.
Déterminisme social qui est représenté dans le film aussi par le personnage de Hacine qui vit seul avec son père au sein d’un immeuble de cité. Et qui, incapable de trouver du travail, zone avec ses potes au pied des immeubles, à égrener les packs de bière et à trafiquer aussi un peu sans doute. Le conflit qui oppose Anthony à Hacine est résolument tragique car il met en scène deux catégories de la société qui font partie des faibles et des opprimés et qui devraient se retrouver, comme elles le font brièvement à l’occasion de la Coupe du monde de football, côte à côte et unies pour faire face à la dure réalité. C’est ce morcellement de la société que dénonce aussi le film, rendant la misère encore plus palpable. Comme un fil rouge, leur lutte fratricide rythme le film, guidée par le motif de la vengeance tel que le représente la tragédie classique. On peut aller – pourquoi pas – jusqu’à l’interpréter comme un désamour de la classe ouvrière pour les immigrés de banlieue qui conduit aujourd’hui cette dernière à se tourner politiquement vers l’extrême droite.
Le film est mené pied au plancher et on ne s’ennuie pas un instant. La vision est juste et la réalisation sans failles. Pour un constat globalement pessimiste, il faut le noter. Que dire enfin de l’interprétation excellente de tous les acteurs et surtout – comment ne pas le citer – du jeune post-adolescent Paul Kircher, éblouissant de film en film dans son rôle de jeune garçon s’initiant aux joies et aux malheurs de la vie, jouant à la perfection de son allure pataude pour mieux nous surprendre dans ses élans de rage et de fureur de vivre et qui a fait jusque-là déjà un beau parcours cinématographique.
RÉALISATEUR : Ludovic Boukherma, Zoran Boukherma NATIONALITÉ : française GENRE : Drame AVEC : Paul Kircher, Angelina Woreth, Gilles Lellouche, Ludivine Sagnier, Sayyid El Alami DURÉE : 2h21 DISTRIBUTEUR : Warner Bros SORTIE LE 4 décembre 2024