L’Etrange Festival Jour 6 : Maisie, Teddy et Cendrillon

Mine de rien, nous arrivons au milieu de l’Etrange Festival et nous avons sans doute vécu hier la journée la plus réussie du festival depuis son début: une programmation équilibrée de films tous intéressants chacun à sa manière, pas de déception majeure, un éventail parfaitement représentatif de ce que peut faire un festival digne de ce nom, c’est-à-dire international, ne se cantonnant pas à une ou deux nationalités et couvrant des genres divers, le film de braquage se transformant en thriller angoissant (The Owners), la comédie naturaliste qui vire au film de loup-garou (Teddy) et enfin une reprise qui ressuscite des limbes de l’Histoire du cinéma une perle méconnue (Piège pour Cendrillon). 

Que devient Maisie Williams depuis la fin de Game of Thrones? Eh bien, elle continue à tourner, s’imposant comme une valeur sûre de l’interprétation. Après Les Nouveaux MutantsThe Owners en fournit une nouvelle preuve. Derrière cette adaptation au titre anglo-saxon de la BD de Hermann et Yves H., Une Nuit de pleine lune, se cache en fait le premier film d’un réalisateur et scénariste français, Julius Berg, qui a longtemps travaillé sur des séries. Il en a gardé le sens du rythme et du renversement de situation. The Owners se focalise sur une bande de braqueurs amateurs qui décide de cambrioler une maison du voisinage. Mais, ce faisant, ils ne seront pas au bout de leurs surprises…Unité de temps, de lieu, d’action. Porté par l’interprétation à fleur de peau d’une formidable Maisie Williams et d’une mise en scène ménageant les surprises et distillant des pointes d’humour bienvenues, The Owners représente dans un genre éprouvé une petite réussite qui augure bien du futur de son auteur. 

Avec Teddy, c’est également un premier film que l’Etrange Festival a mis à l’honneur hier soir. Il s’agissait même de la 2ème avant-première mondiale de ce film, juste après celle de Deauville la veille. Biberonnés au film d’horreur et aux adaptations de Stephen King, les deux frères Ludovic et Zoran Boukherma réussissent également leur coup d’essai, en dressant la chronique naturaliste au départ d’un monde rural (chômage, petits boulots, humiliation sociale) qui va progressivement muter en film fantastique sur la transformation d’un petit masseur, Teddy, en loup-garou. On a parfois l’impression en regardant Teddy d’assister au croisement singulier et détonant entre P’tit Quinquin de Bruno Dumont et Grave de Julia Ducourneau. Anthony Bajon, en particulier, y montre qu’il est un grand acteur capable de tout jouer (la scène la plus émouvante de Tu mérites un amour de Hafsia Herzi, c’était lui). Même si la partie chronique naturaliste est largement la plus réussie du film, l’ensemble ne démérite pas, plaçant Ludovic et Zoran Boukherma dans les espoirs du cinéma français et Teddy parmi ses premiers films prometteurs (sortie en janvier 2021). 

Enfin, pour clore la soirée, l’Etrange Festival nous proposait de (re)découvrir sous la houlette de Revus et Corrigés, – qui, pour la première fois, s’essaie à la distribution, – une oeuvre méconnue d’André Cayatte, Piège pour Cendrillon. Alors faut-il réhabiliter André Cayatte, metteur en scène voué aux gémonies par les critiques incendiaires de François Truffaut? Truffaut s’est-il trompé, comme il a pu le faire sur John Ford ou David Lean?

Oui et non. Non car, en regardant attentivement ce film, Cayatte demeure la plupart du temps extrêmement académique, ayant quelque mal à faire intervenir un souffle de vie dans son film qui reste figé à la manière de ses interprètes dans une mécanique scénaristique extrêmement contraignante. Seuls quelques plans sur un escalier vue en contre-plongée ou sur un miroir reflétant l’identité clivée de la protagoniste, évoquent Vertigo d’Hitchcock. L’emploi de certains acteurs (Jean Gaven, Hubert Noel) date le film, surtout par comparaison avec l’avalanche de naturel des films de la Nouvelle Vague avec ses jeunes premiers ravageurs (Brialy, Blain, Belmondo). On ne peut malheureusement s’empêcher de penser à ce qu’auraient pu faire avec un tel matériau scénaristique (une jeune amnésique en quête de son identité mène l’enquête sur un crime qu’elle aurait peut-être commis) Hitchcock déjà cité, Clouzot, Chabrol ou encore David Lynch. 

En revanche, oui, Truffaut s’est peut-être un peu trompé car Cayatte s’est malgré tout lancé dans un projet intéressant, montrant qu’il n’était pas dupe de sa réputation et qu’il essayait coûte que coûte d’y échapper. Piège pour Cendrillon demeure donc relativement fascinant pour deux raisons essentielles : 1) l’interprétation de Dany Carrel qui parvient à délimiter sans effort trois personnages différents (cette idée un peu folle et assez géniale de faire jouer Michèle et Dominique par la même actrice doit être mise au crédit de Cayatte et/ou de son coscénariste Jean Anouilh). Généreuse de sa personne (le film se distingue par un érotisme discret), accomplissant la performance de sa vie, Dany Carrel investit donc trois rôles différents, l’amnésique, Michèle et Dominique, où elle est méconnaissable à chaque fois, conférant une identité spécifique à chacune, face à une remarquable Madeleine Robinson. On peut remarquer au crédit de Cayatte (réputé bon technicien) la gageure technique de tourner des scènes avec deux fois la même actrice, à l’époque où les effets spéciaux étaient loin d’être aussi élaborés qu’à l’ère numérique : la scripte Aurore Paquiss, future Mme Chabrol quinze ans plus tard, a dû bien s’amuser et son professionnalisme n’est jamais pris en défaut, les prises raccordant parfaitement entre elles. 2) Si Piège pour Cendrillon demeure intéressant plus de cinquante ans après et reste à (re)découvrir aujourd’hui, c’est surtout dû au roman de Sébastien Japrisot, chef-d’oeuvre du polar existentiel, préfigurant Memento de Christopher Nolan, entremêlant une vertigineuse quête d’identité et le caractère quasiment insoluble d’une intrigue policière machiavélique. Si vous avez gardé le souvenir quelque peu académique d’autres adaptations de Japrisot, L’Eté meurtrier ou Un Long dimanche de fiançailles, sachez que Piège pour Cendrillon surpasse de loin ces exemples par une trame mystérieuse qui reste énigmatique bien longtemps après la projection. Si le film de Cayatte permet de faire lire ce roman de Japrisot, maître du polar français, voire d’en générer de nouvelles adaptations par des cinéastes plus inspirés, Piège pour Cendrillon aura plus que rempli sa mission.