L’Etrange Festival 2020 Jour 3 : un féminisme inattendu

Chaque jour, à l’Etrange Festival, le public peut s’exprimer car les spectateurs sont conviés à voter sur une quinzaine d’avant-premières, ce que nous avons donc déjà fait pour TomirisRelic et Tezuka’s Barbara. C’est ainsi un grand plaisir propre à l’expérience festivalière de découvrir et d’évaluer des films qui n’ont quasiment jamais été vus, en étant leurs premiers spectateurs. Les avant-premières continuent donc avec Amulet, premier film de Romola Garai, la charmante actrice d’Angel, l’oeuvre la plus programmatique de François Ozon, et de la série The Hour. Au vu de l’apparence douce et romantique de cette actrice, qui aurait jamais cru que son premier film serait une sorte de film de Ken Loach se transformant progressivement en remake lointain de l’Exorciste, avec de fortes réminiscences lovecraftiennes? Sans être tout à fait réussi, s’emmêlant un peu dans des dimensions temporelles superflues, Amulet possède une véritable vitalité qui inciterait plutôt à encourager la jeune comédienne à continuer car elle n’en fait qu’à sa tête, communiquant un sentiment assez jouissif. 

Nous n’avions jamais vu de film de Lloyd Kaufman et avec stupéfaction et grand plaisir délirant, nous avons donc découvert son Shakespeare’s Shitstorm, version revue et corrigée de La Tempête de Shakespeare. Avec sa compagnie, Troma Entertainment, Lloyd Kaufman a fondé la plus ancienne société de cinéma indépendant. Avouons qu’à côté de Lloyd Kaufman, Ed Wood ressemble à Orson Welles. Pourtant de ce délire scatologique, faussement pornographique et bouffon, en ressort un vrai désir de cinéma, consistant à dépoussiérer les classiques, mélangeant les répliques de Shakespeare, les parodies de Mel Brooks et la série Z. Le point fort de Lloyd Kaufman n’est à l’évidence pas le sens du cadre mais un montage ébouriffant, quasiment impossible à suivre, nous entraînant dans un maelstrom déchaîné. Bien sûr, on largue les amarres, très loin du cinéma de qualité, mais il en ressort un dynamisme, une vitalité qui n’existent pas dans beaucoup de productions actuelles. On pourra y remarquer  aussi une dérision du politiquement correct assez réjouissante et provocatrice.   

On ne souvient plus guère de The Great Esctasy of Robert Carmichael, premier film de Thomas Clay, qui avait fait les beaux jours de la Semaine de la Critique en 2005, sinon qu’il avait fait grand bruit pour son hyper-violence. La dernière demi-heure du film mettait à mal deux femmes en particulier. On redoutait donc un peu la projection de son nouveau film, Fanny Lye deliver’d. Depuis 2005, Thomas Clay n’avait guère fait reparler de lui, hormis un deuxième film anecdotique, Soi cowboy. Autant The Great Esctasy of Robert Carmichael se situait sous le patronage d’Orange Mécanique, ainsi que de celui, plus pervers, de Funny Games de Michael Haneke, autant Fanny Lye se range sous l’influence d’un autre grand film de Stanley Kubrick, Barry Lyndon. On y suit dans les années 1650, la destinée de Fanny Lye, une jeune servante devenue épouse d’un fermier, qui va tenter de se libérer des chaînes de son asservissement conjugal, sous l’influence de deux fuyards rebelles et intellectuellement affranchis. Comme on le voit, à la lecture de ce bref résumé, Thomas Clay, contrairement à son premier film, adopte le point de vue inverse et ce renversement de perspective lui réussit largement. Grâce à la photographie de Yorgos Avantis, le chef opérateur d’Angelopoulos, inventant des plans-séquences sinueux, et à l’interprétation de Maxine Peake, Charles Dance et Tanya Reynolds, Clay parvient à ménager un véritable suspense autour de l’émancipation de Fanny Lye, émancipation annoncée maintes fois dans le commentaire en voix off de Rebecca la fugitive. Les bons ne paraissent pas être ceux que l’on croit, ce qui permettra Fanny Lye de se découvrir elle-même et d’imposer ses priorités. Deuxième choc de l’Etrange Festival, Fanny Lye deliver’d devrait convaincre par la beauté de son classicisme ceux que The Great Esctacy of Robert Carmichael avait rebutés. 

Rappelons enfin l’essentiel, toutes les séances de l’Etrange Festival sont réservables en ligne à l’adresse indiquée sur cette page : http://www.etrangefestival.com//2020/fr//information. N’hésitez pas à vous joindre à ce festin cinématographique!