L’Etrange Festival 2020 Jour 5 : Anna pleine de grâce

Il fallait bien que cela arrive : quatre séances à la suite à l’Etrange Festival! C’est le strict maximum, étant donné que le Forum des Images n’est pas ouvert le matin…Par conséquent ce dimanche, le programme s’annonçait fort varié avec la narration loufoque d’une vie de politicien, Anna Karina en état de grâce, un hommage à Pierre Molinier, le peintre spécialiste du fétichisme et une enquête dans un film kazakh.

Nous commençâmes gaiement avec Le Vingtième siècle, une fantaisie historique de Matthew Rankin sur la vie de W.L. Mackenzie, premier ministre canadien. Guy Maddin a un frère, les frères Quay ne sont plus seuls…On retrouve en effet chez Matthew Rankin ce sens de la créativité qui fait tourner des personnes réelles dans des décors d’animation expressionnistes hérités du cinéma muet. Cette relecture historique s’avère totalement féérique et vous entraîne dans un monde joliment décalé. Chez Rankin, les décors semblent rose bonbon, les personnages sont indifféremment interprétés par des hommes ou des femmes, nonobstant toute notion de genre, comme dans le théâtre élisabéthain. Le Vingtième siècle offre un charmant moment de pure rêverie, même si l’on peut se demander, hormis la satire convenue et bienvenue de la politique, quel peut bien être le sens de tout cela…

Nous poursuivîmes avec la projection d’Anna, comédie musicale télévisuelle de Pierre Koralnik, qui fut un petit événement en soi. Ce n’était en effet que la troisième projection publique de ce film culte avec Anna Karina, Jean-Claude Brialy, Marianne Faithfull, écrit et composé par Serge Gainsbourg, dont les chansons ont été arrangées par Michel Colombier. Pascale Faure, célèbre productrice TV, en particulier à Canal Plus, souhaitait nous faire découvrir ce petit bijou qui a bercé son adolescence. Objet pop typiquement symbolique de ces fameuses et mythiques années soixante, Anna a à peine vieilli, nous permettant de retrouver Anna Karina, l’égérie de la Nouvelle Vague et des films de Godard du temps de sa splendide et merveilleuse beauté (on s’est d’ailleurs aperçus que Zooey Deschanel a beaucoup piqué à Anna Karina, en particulier ses lunettes), ainsi que les chansons de Gainsbourg dont au moins deux, Sous le soleil exactement et Ne dis rien, sont des classiques absolus. On se prend à rêver à ce que la télévision française pouvait offrir à l’époque…  

Ensuite, l’Etrange Festival offrit un hommage à Pierre Molinier qui n’aurait pas déparé à la Cinémathèque française ou au Louvre, par l’intérêt historique et culturel qui s’en dégageait. Ce personnage admiré par André Breton, le chef de file des surréalistes, n’aimait que la peinture, les filles et le pistolet. Ces documentaires et courts métrages fétichistes en témoignaient, nous faisant connaître sa peinture délivrée de tous tabous et son amour des jambes féminines sur lesquelles il opérait une fixation qui n’était pas moindre de celle de François Truffaut ou d’Eric Rohmer.

Enfin nous retrouvâmes une vieille connaissance, Adilkhan Yerzhanov, metteur en scène kazakh, qui avait eu droit en 2018 à une mini-rétrospective, ce qui nous avait permis de découvrir le superbe La Tendre indifférence du monde. Il revient cette fois-ci avec un film noir sur un enquêteur chargé d’étouffer une sombre affaire de meurtre d’enfants. Dans A Dark, dark man, Yerzhanov n’a rien perdu de son style, à mi-chemin entre Bruno Dumont, Jim Jarmusch et Aki Kaurismaki, en particulier cette manière de situer ses personnages d’un bord à l’autre de son cadre, engendrant une distanciation et un effet comique immédiats. Comment échapper à la corruption dans un monde pourri? Telle semble être l’interrogation qu’il paraît nous lancer avec ses personnages tragi-comiques qui se débattent dans un monde trop sordide pour eux.    

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