L’Etang du démon : la marque du dragon

L’un des grands plaisirs de l’Etrange Festival consiste à redécouvrir certains cinéastes restés pour des raisons obscures un peu méconnus, en particulier japonais. Les années précédentes, l’Etrange Festival a ainsi présenté des films de Seijun Suzuki (La Marque du tueur, Yumeji), cinéaste qui a inspiré Tarantino, Jarmusch, Wong Kar-wai. Cette fois-ci, c’est le tour de Masahiro Shinoda, cinéaste toujours vivant qui a été assistant d’Ozu et a collaboré avec Shuji Terayama. Auteur de 33 films, il est l’un des représentants de la Nouvelle Vague japonaise. Mystérieusement, son nom est moins retenu que ceux d’Oshima ou d’Imamura. L’Etang du démon représente une étape fantastique dans son oeuvre, où il s’inspire d’une pièce du théâtre kabuki. Sa présentation à l’Etrange Festival est préalable à une sortie en salle par les excellents éditeurs de Carlotta Films et un avant-goût d’une rétrospective qui aura sans doute lieu à l’Etrange Festival l’année prochaine.

Dans la Province d’Echizen, le professeur Yamasawa entame un voyage pour Kyoto, au cours de l’été 1913. Alors qu’il traverse les montagnes, il s’arrête dans un village à proximité d’un étang nommé l’ « Étang du démon ». Les habitants semblent y respecter une ancienne tradition : la cloche du village doit sonner chaque jour afin de ne pas libérer un dragon retenu enfermé au fond de l’étang. L’arrivée du professeur Yamasawa chez Akira et Yuri, le couple chargé de faire respecter ces croyances ancestrales, va bientôt mettre en péril cet équilibre.

L’Etang du démon est dans tous les sens du terme, une véritable curiosité. Film atypique par sa dimension fantastique, il subjugue par sa réinvention du théâtre kabuki

Présenté à Cannes Classics cette année, L’Etang du démon est dans tous les sens du terme, une véritable curiosité. Film atypique par sa dimension fantastique, il subjugue par sa réinvention du théâtre kabuki. Même si, contrairement à ce que l’on pourrait croire, les effets spéciaux sont assez rares et parcimonieux, l’oeuvre baigne dans une atmosphère fantastique constante qui permet à tout spectateur de s’y plonger et de rêver. Les effets spéciaux sont concentrés dans les dernières vingt minutes et s’avèrent extrêmement impressionnants, y compris dans le contexte d’aujourd’hui : un tsunami d’une rare violence qui déferle sur l’écran, à la limite de nous emporter dans son torrent de vagues. Néanmoins, si le film impressionne, c’est surtout par la gestion des scènes de foule qui montre à quel point Shinoda est un grand metteur en scène. De plus, le plus grand effet spécial du film, hormis donc ces scènes de tsunami, c’est la performance incroyable de cet acteur de kabuki, Bandô Tamasaburô V, qui interprète avec une crédibilité et une sensibilité jamais prises en défaut, le personnage d’une femme, Yuri/princesse Shirayuki. Il s’agit ici de l’une de ses rares performances captées au cinéma. Du début à la fin, cet homme qui joue une femme, comme dans le kabuki traditionnel ou le théâtre élisabéthain, s’avère complètement fascinant dans une tragique histoire d’amour et vaut presque à lui seul le déplacement pour voir L’Etang du démon. Ce qui serait vrai, si le film n’était pas lui-même d’une luxuriance opératique et esthétique hors du commun.

3.5

RÉALISATEUR : Masahiro Shinoda
NATIONALITÉ : japonaise
AVEC : Bandô Tamasaburô V, Gō Katō, Tsutomu Yamazaki 
GENRE : Drame, fantastique
DURÉE : 2h03
DISTRIBUTEUR : Carlotta Films 
SORTIE LE 22 septembre 2021