Les Veuves s’inscrit dans un courant général de féminisme hollywoodien, consécutif ou concomitant à l’affaire Weinstein et la déferlante #Metoo qui a suivi. Les producteurs avaient senti le vent venir et l’avaient même parfois anticipé avec les franchises Young Adults qui mettaient en vedette de jeunes personnages féminins (Hunger Games, Divergente). Néanmoins, depuis deux ans, le féminisme hollywoodien est une réalité non négligeable : se sont succédés avec des fortunes diverses sur les plans artistique et financier, Wonder Woman, Ocean’s 8, Les Proies, L’Ombre d’Emily, voire le nouveau Suspiria, ou Les Filles du Soleil, du côté européen, avec parfois des distributions essentiellement féminines. Les Veuves mettent ainsi au premier plan quatre femmes aux prises avec un système politico-financier, reléguant au second plan des vedettes masculines pourtant habituées au haut de l’affiche (Liam Neeson, Colin Farrell). Mais ce projet de Steve McQueen, le réalisateur oscarisé de 12 years a slave, fait-il partie d’un féminisme de pacotille et opportuniste, formaté pour générer des entrées, ou exprime-t-il un féminisme sincère et positif?
Chicago, de nos jours. Quatre femmes qui ne se connaissent pas. Leurs maris viennent de mourir lors d’un braquage qui a mal tourné, les laissant avec une lourde dette à rembourser. Elles n’ont rien en commun mais décident d’unir leurs forces pour terminer ce que leurs époux avaient commencé. Et prendre leur propre destin en main… |
Les Veuves demeure un film intéressant, offrant un moment de divertissement louable et politiquement correct. On est certes très loin du féminisme de pacotille de certaines productions hollywoodiennes mais on ne se trouve pas non plus exactement au niveau de films qui, dans les décennies précédentes, ont su mettre en valeur des femmes fortes, de manière positive : Alien et Thelma et Louise de Ridley Scott, Abyss et Terminator de James Cameron ou encore Le Silence des Agneaux de Jonathan Demme. Le féminisme hollywoodien a encore de beaux jours devant lui.
L’intrigue paraît de prime abord extrêmement classique : un braquage tourne mal et sous la menace d’un chantage, d’autres personnes se décident à prendre le relais des personnes décédées, sauf qu’il s’agit des femmes des braqueurs, a priori peu aguerries à ce genre d’exercice. C’est donc l’occasion de mettre en vedette les femmes qui étaient restées dans l’ombre de leurs maris cambrioleurs. Ces femmes ont chacune une histoire particulière et Steve McQueen va s’attacher à nous permettre de faire leur connaissance, l’une après l’autre, en montage parallèle, avant que leurs histoires ne finissent par confluer en une seule.
Car c’est en effet Steve McQueen, le metteur en scène des minorités et de la diversité, qui porte ce projet. Qui d’autre mieux que lui pouvait s’identifier à des femmes méprisées et laissées à l’abandon? Il fait même d’une pierre deux coups en conférant à deux des apprenties braqueuses l’appartenance à la communauté noire (Viola Davis et Cynthia Erijo). Les Veuves s’avance donc à la fois sous les traits d’un film féministe et pro-diversité. McQueen enfonce même le clou en donnant à Michelle Rodriguez le rôle de la représentante des latinos et en osant montrer dans un film de genre un couple interracial, celui formé par Viola Davis et Liam Neeson, ce qui n’est pas si courant dans le cinéma hollywoodien. Là où Ocean’s 8 ne dépassait pas son postulat de film divertissant et valait surtout pour quelques numéros d’actrices, Les Veuves permet de mettre en valeur les personnages de femmes en elles-mêmes et leurs qualités proprement féminines, assez distinctes de celles de leurs maris, pour réussir à préparer ce braquage : l’intelligence, la ruse, la séduction.
Pour ce faire, il s’est entouré de Gillian Flynn, la romancière et scénariste en vogue du moment. Les Veuves décrit de manière tristement crédible et apocalyptique l’opposition entre deux camps politiques tout aussi pourris l’un que l’autre, trempant dans des pots-de-vin et des extorsions de fonds sans limites. Reconnaissons qu’elle a su donner un cadre très crédible aux magouilles politico-financières de l’intrigue (Chicago) ainsi qu’une véritable profondeur à ses personnages féminins, traversés par le deuil (le personnage de Viola Davis) ou les violences conjugales (celui d’Elizabeth Debicki). Ce n’est pas toujours le cas, car les scénarios ou adaptations de Gillian Flynn sont très dépendantes de leur metteur en scène. Sharp Objects ou Dark Places sont au mieux décevants, tandis que Gone Girl demeure une réussite marquante de David Fincher. Les Veuves se situent un peu dans cet entre-deux, tout en penchant davantage du côté de la réussite.
En effet, la mise en scène, soigneusement ouvragée, permet de donner de l’ampleur à ce film de genre qui bascule souvent dans l’introspection psychologique, flash-backs à l’appui. Bien écrit et réalisé, Les Veuves se permet même en son milieu un twist qui souligne que les femmes, pour s’affirmer, trouveront toujours des mâles sur leur route. La direction d’acteurs (ou plutôt d’actrices) est digne de tout éloge, à commencer par les seconds rôles de Colin Farrell et surtout de Robert Duvall, en loups de la politique, et bien sûr les rôles principaux des quatre braqueuses, en rajoutant l’excellentissime Carrie Coon, échappée de Fargo et des Leftovers, dans de trop brèves apparitions. Mais si Viola Davis, Cynthia Erijo et Michelle Rodriguez, assurent sans coup férir, c’est surtout Elizabeth Debicki qui leur vole un peu la vedette, en femme battue qui va prendre sa revanche sur son piètre destin de victime. Faisant un sort à toutes ses scènes, Elizabeth Debicki, déjà remarquée dans The Night Manager, devrait bientôt s’installer grâce à sa justesse de jeu et sa beauté impressionnante, au firmament des stars. Le simple fait de l’avoir engagée donne un intérêt au moindre cadrage du film qui devient périlleux en raison de sa grande taille (1m90) qui surplombe de loin celle de ses partenaires. La composition graphique en est alors toute transformée, tant cet élément perturbateur crée une distorsion intéressante.
Néanmoins, en dépit d’Elizabeth Debicki, Les Veuves demeure un film intéressant, mais guère inoubliable, offrant un moment de divertissement louable et politiquement correct. On est certes très loin du féminisme de pacotille de certaines productions hollywoodiennes (Wonder Woman, Ocean’s 8) mais on ne se trouve pas non plus exactement au niveau de films qui, dans les décennies précédentes, ont su mettre en valeur des femmes fortes, de manière positive : Alien et Thelma et Louise de Ridley Scott, Abyss et Terminator de James Cameron ou encore Le Silence des Agneaux de Jonathan Demme. Le féminisme hollywoodien a encore de beaux jours devant lui.
RÉALISATEUR : Steve McQueen NATIONALITÉ : américaine GENRE : thriller, drame AVEC : Viola Davis, Elizabeth Debicki, Michelle Rodriguez, Liam Neeson, Colin Farrell , Daniel Kaluuya DURÉE : 2h09 DISTRIBUTEUR : Twentieth Century Fox France SORTIE LE 28 novembre 2018