C’est durant presque 60 ans que les membres de l’ETA (Euskadi ta Askatasuna qui signifie Pays basque et liberté), issus de cette organisation indépendante, à l’idéologie marxiste, ont frappé des êtres, des familles, connues ou anonymes, au service de leur lutte armée et sans compromis. On peut bien adhérer et comprendre l’intention, comme celle des Brigades rouges italiennes qui la précède dans les années 70 ou la Fraction Armée rouge (connue sous le nom de Bande à Baader), groupe allemand du même acabit, dissout avant les années 2000. Les Repentis, de son titre originel Maixabel, raconte l’assassinat du préfet socialiste Juan María Jàuregui en 2000, par trois membres de l’ETA, emprisonnés pour plus d’un crime et des années, et l’histoire de sa veuve, Maixabel Lasa, auprès de qui deux des criminels viendront se repentir…
Le film s’ouvre in medias res dans le café du Casino de la ville basque de Tolosa (Espagne) dans lequel le préfet et un ami discutent tranquillement, sans prendre gare… et pourtant. Dans le même temps, trois individus dans leur voiture ont pour mission d’assassiner le préfet, sans fioriture comme ils en ont l’habitude. Si la scène est longue, l’acte se passera rapidement après que Luis Carrasco aura tiré une balle dans la tête du politicien : cris, éloignement sonore pour nous laisser voir, déjà, dans un montage alterné, la solitude d’une femme qui attend patiemment son époux, et ne répondra pas au téléphone… On suivra le trajet des trois terroristes en fuite qui ont l’audace de dépasser une voiture de police, induite en erreur par la recherche d’une Citroën noire pendant qu’ils sont dans une Renault blanche qu’ils brûleront en pleine forêt : ils sont fiers, presque heureux, ils ont accompli leur mission pour l’ETA, ce sont des héros d’un autre genre pour ceux qui luttent contre l’impérialisme et le capitalisme… Hôpital, désespoir criant d’une jeune fille de 19 ans qui a injustement perdu son père, obsèques, solitude et nécessité de gardes du corps pour Maixabel qui continuera et élargira le combat politique et éthique de son mari, telles sont les étapes d’un récit à la narration classique, avant une ellipse temporelle (de presque dix années) nous projetant dans le procès des terroristes avant leur emprisonnement. Le choix d’Icíar Bollaín se portera ensuite sur la mise en images de la peur, sentiment que la réalisatrice parvient à distiller tout au long du film, et sous différentes formes, placée tout à tour chez la veuve, sa fille, les criminels, les familles, à générer une tension permanente pour le spectateur.
Le choix d’Icíar Bollaín se portera ensuite sur la mise en images de la peur, sentiment que la réalisatrice parvient à distiller tout au long du film, et sous différentes formes, placée tout à tour chez la veuve, sa fille, les criminels, les familles, à générer une tension permanente pour le spectateur.
Le film se partage en trois aspects, voué par son récit à montrer l’état d’une fille orpheline de père, Maria ( María Cerezuela qui a reçu un Goya espagnol en tant qu’espoir féminin) qui ne pardonne pas, et qui, même si elle s’est reconstruite, vit dans la peur et la colère de l’injustice. Partant de scènes avec ses jeunes amies, toujours soufflées devant une telle situation malgré les moments d’amitié, on la voit dans des échanges avec sa mère, de l’ordre du débat philosophique comme émotionnel. On voit aussi les détenus, précisément les deux criminels même s’ils se retrouvent nombreux dans la prison basque de Nanclares de la Oca, où certains d’entre eux qui étaient amis, liés par des idéaux de jeunesse et des fantasmes de justice politique sans rien connaître à la politique ou à ceux qui les gouvernent, se sont éloignés, même si un même sentiment semble les rapprocher : sortir du cauchemar de la culpabilité, réparer les vivants en tentant d’exprimer l’innommable en face-à-face, tenter une rédemption auprès de la veuve comme également auprès d’une société. De ce point de vue-là, le film traduit de façon intéressante et sincère le rejet que vivent les membres de l’ETA détenus et souhaitant réparer, considérés comme des dissidents, dans le même temps que l’institution pénitentiaire, tente par l’intermédiaire d’une médiatrice, de faire se délier les langues, de faire couler des larmes peut-être, de rendre humains les monstres. C’est enfin Maixabel que l’on voit, non pas dans ses retranchements mais dans un double combat, public et privé : vivre dans l’acceptation malgré une forme d’incompréhension vis-à-vis d’actes monstrueux et déraisonnés, tout en faisant reconnaître par la loi le statut de victimes du terrorisme sans stigmatiser les membres de l’ETA. De par ces trois aspects, le film, malgré son caractère distant et rêche, avec ses couleurs froides et ses plans fixes, fait caresser au spectateur différentes psychologies, même si elles sont généralement en retenue car intériorisées. Ce sera la parole échangée entre ces trois partis en présence – passant aussi par les regards – qui fera aller le film du côté de l’humanité et de la compréhension, l’expression de soi, ses sentiments et ses actes, devenant l’enjeu d’une résolution. De ce point de vue-là, les jeux d’actrice de Blanca Portillo et des deux acteurs, Urko Olazabal – ces deux-là ont aussi reçu un Goya pour leur rôle – et Luis Tozar, magnifient le film.
Faire se délier les langues, faire couler des larmes peut-être, rendre humains les monstres, réparer les vivants, tel semble être l’objectif du film.
Si Icíar Bollaín est spécialiste des œuvres engagées, à visée sociologique ou politique, à parler de son pays, la documentation, son travail de reconstitution et la réflexion menée pour faire se rencontrer vérité et fiction – ce que précise le générique – sont exemplaires. Exemplaire le caractère de Maixabel, prête au lien, pardon, à la réconciliation, avec des criminels ayant hurlé haut et fort lors de leur procès leur refus de reconnaître une légitimité à la justice espagnole, comme les prisonniers sont amenés à le devenir en souhaitant exprimer la vérité de leur action et leurs regrets. La question de la vérité se découvre d’ailleurs dans les liens familiaux que les personnages entretiennent, notamment ceux montrés qu’Ibon Etxezarreta avait avec le grand-père qu’il perdra alors qu’il est emprisonné ou avec sa mère à qui il rendra visite lors de permissions, laquelle s’est retenue de jeter les images de presse d’un ETA se croyant victorieuse mais ayant embrigadé son fils dans des crimes qu’il regrette… Ce sont des plans sur les visages, masquant à peine leur état, et des cadrages travaillés faisant éprouver une émotion indicible, ou une confession douloureuse. La postérité a retenu de Jean-Paul Sartre deux phrases devenues célèbres depuis : « L’existence précède l’essence » et « L’homme est condamné à être libre » [L’existentialisme est un humanisme]. Même si le film ne développe pas exactement de forts aspects politiques ou philosophiques parce qu’il penche du côté psychologique, même si le récit parfois tombe dans le pathos, à travers quelques scènes qui abusent d’une musique venue assombrir une histoire déjà sombre – lors des commémorations du défunt, des rencontres familiales entre la mère et sa fille –, et même si tout spectateur ne peut pas être insensible à de tels sorts injustes, Les Repentis vient prouver que le philosophe avait raison, que nous sommes responsables de nos actes et que l’homme libre est aussi capable de se réconcilier, avec lui-même comme avec ses frères, humain qu’il reste…
RÉALISATEUR : Icíar Bollaín NATIONALITÉ : Espagne AVEC : Blanca Portillo, Luis Tosar, Urko Olazabal, Maria Cerezuela, Maria Jesus Hoyos, Tamara Canosa,Mikel Bustamante, Miguel Garcès DURÉE : 1h56 DISTRIBUTEUR : Épicentre Films SORTIE LE 9 novembre 2022