Les Reines du drame : Dancing Queen

Où en est le cinéma queer aujourd’hui? Après avoir digéré lors des décennies précédentes les diverses influences de Kenneth Anger, Douglas Sirk, Jacques Demy, Pier Paolo Pasolini, Rainer Werner Fassbinder, Pedro Almodóvar, Xavier Dolan, il se retrouve un peu perdu devant les oeuvres parfois contradictoires, n’ayant rien à voir les unes avec les autres, d’Alain Guiraudie, Lukas Dhont, François Ozon, Yann Gonzalez ou Bertrand Mandico, certaines s’épanouissant dans le classicisme et le conformisme, d’autres dans l’excentricité et la provocation. Oeuvre d’un cinéaste LGBT +, Alexis Langlois, Les Reines du drame semble actuellement le film idéal pour prendre la température du cinéma queer : mélodrame électrique sur les émotions adolescentes, goût flamboyant des couleurs, fascination pour l’univers de la télévision et des réseaux sociaux.

2055. Steevyshady, youtubeur hyper botoxé raconte le destin incandescent de son idole, la diva pop Mimi Madamour, du top de sa gloire en 2005 à sa descente aux enfers, précipitée par son histoire d’amour avec l’icône punk Billie Kohler. Pendant un demi-siècle, ces reines du drame ont chanté leur passion et leur rage sous le feu des projecteurs.

Les Reines du drame est une comédie pop et kitsch assez jubilatoire, dont on pourrait envisager assez facilement l’adaptation en soirée karaoké.

De l’univers queer, Alexis Langlois reprend beaucoup de codes : les couleurs flashy et volontairement tape-à-l’oeil, empruntées à Sirk, Demy et Almodóvar ; l’obsession pour les médias mineurs et populaires, l’histoire étant narrée par un Youtubeur et prenant sa source dans un télé-crochet, directement inspiré de La Nouvelle Star ; le sens du mélodrame, se focalisant sur la fraîcheur des sentiments passionnés et exacerbés, unissant Mimi et Billie, Face à cette débauche de couleurs et d’émotions, cette profusion de formats d’images différents, le spectateur peut se retrouver fasciné et enchanté, tout comme, au contraire, il peut se sentir agacé par cette superficialité et cette préciosité délibérément affichées.

Pourtant, si on passe l’éponge assez facilement sur le manque de justesse de certains interprètes et certaines séquences ratées (essentiellement les numéros de cabaret), c’est parce qu’Alexis Langlois a réussi à créer avec Les Reines du drame une petite madeleine jubilatoire, en revisitant le passé pop de ces trente ou quarante dernières années. C’est comme si Alexis Langlois orchestrait la rencontre et le coup de foudre entre Britney Spears et Billie Eilish, par-delà le temps et les modes musicales. Bien entendu, ce résumé est un peu abusif car le récit regorge de clins d’oeil et de multiples couches similaires à des samples. Mimi Madamour, c’est aussi toutes les jeunes nymphettes qui se sont lancées dans la carrière musicale entre 2000 et 2005, la plupart étant bien oubliées : Priscilla, Lorie, Alizée. En revanche, la Nouvelle Star n’a jamais consacré ce type de candidates. Quant à Billie Eilish, elle n’a pas connu la carrière de chanteuse punk marginale de Billie Kohler. Alexis Langlois mixe donc les idées et influences de manière très jubilatoire pour en faire sa cuisine personnelle. Idem lorsqu’il engage Asia Argento et Mona Soyoc (du groupe Kas Product) pour incarner respectivement des idoles pop des années 80-90, Magalie Charmer et Ellie Moore, noms qu’il est inutile de répéter pour ne pas entendre Mylène Farmer et Jeanne Mas. La bande-son du film, concoctée aux petits oignons par Yelle et Rebeka Warrior, s’avère très réussie : une fois entendu « Pas touche« , le tube de Mimi Madamour, il vous sera difficile de vous enlever cette chanson de la tête. Alexis Langlois parvient même à faire passer en filigrane des idées intéressantes sur la ringardise qui démode fatalement ceux qui se trouvent en haut de la vague, ou sur le passage de la télévision à Internet comme média principal de la jeunesse.

Par conséquent, même si elle n’est pas aussi réussie que certains le disent, Les Reines du drame est une comédie pop et kitsch assez jubilatoire, dont on pourrait envisager assez facilement l’adaptation en soirée karaoké. Toutefois, si elle défend plutôt bien les membres de la communauté LGBT+, on peut imaginer qu’Alexis Langlois n’en restera pas là et s’affranchira du label Queer qui peut à l’avenir représenter un frein. Si l’on y réfléchit, en effet, Almodóvar, Ozon ou Dolan ont fait des films qui dépassent largement cette étiquette, en parvenant à devenir au fil du temps des cinéastes reconnus par tous. On ne peut que souhaiter la même chose à Alexis Langlois, continuer à créer comme eux, en gagnant progressivement sa liberté, sans se renier.

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RÉALISATEUR : Alexis Langlois 
NATIONALITÉ :  française 
GENRE : film musical 
AVEC : Louiza Aura, Gio Ventura, Bilal Hassani, Alma Jodorowsky, Asia Argento, Mona Soyoc 
DURÉE : 114 minutes 
DISTRIBUTEUR : Bac Films
SORTIE LE 27 novembre 2024