Les Premiers jours : l’or dure

Au bout du monde, à la frontière entre terre et mer, des ramasseurs d’algues extraient les ordures marines en guise de salaire d’une vie où le bruit, le temps et le vent diffractés questionnent en miroir la tâche d’une simplicité heureuse.

Eux, mieux que quiconque, savent que la mer reviendra à la prochaine vague pour y déposer ses déchets sur le bord de la bassine. Des algues, du plastique, des squelettes et de la rouille. Voilà ce que dégueule l’estomac infini de l’océan après digestion. Attendent les ordures, des hommes et des femmes, sans nom ni histoire, qui n’ont que pour papiers des vêtements chiffonnés, des gueules noires de poussière qui s’exécutent à la tâche, pour tirer, pour trimer à bout de bras un bout de gras.

Entre océan et désert, souffle le bruit des vagues là où Stéphane Breton, cinéaste et ethnologue, pose sa caméra et signe son troisième long-métrage.

Entre océan et désert, souffle le bruit des vagues là où Stéphane Breton, cinéaste et ethnologue, pose sa caméra et signe son troisième long-métrage. Dans les plis du cinéma, entre les pages sablonneuses de Mad Max et celles poisseuses de La Planète des singes, s’invente un récit qui bruit au rythme d’une matière sonore et musicale. Il ne semble jamais vraiment y faire soleil, il ne semble jamais totalement y faire nuit. Il ne pleut pas. Le paysage est identifié, entre désert et océan, mais il manque d’une boussole que répare au-delà du long-métrage les paroles de son créateur : nous voilà au Chili.

Les chiens sont filmés au ralenti, ils sautillent de lassitude tandis que les hommes trouvent des raisons du parti pris de la chose, un pneu à changer, un feu à attiser, une bagnole à renverser, un poisson à évider de ses entrailles qui grincent. Ici, tout fait œuvre. Tout est œuvre. La mer décharge, on rafistole. La conquête de l’Ouest est arrivée à son terme, il n’y a plus de terres à conquérir – si ce n’est un dragon d’algues à dompter comme un Banshee dans Avatar ; il n’y a plus de matière à découvrir – si ce n’est des algues à extirper pour faire lien avec une vie qui n’a que pour seul horizon, une eau qui couine et des images qui brassent. Ici, pas de dialogues, pas de mots. Des images en langage, du cinéma en bandoulière et un film qui surfe sur l’adage du 14e Dalaï Lama, Tenzin Gyatso : « Si tu veux connaître quelqu’un n’écoute pas ce qu’il dit, mais regarde ce qu’il fait. »

Pas étonnant que cette proposition d’un monde lointain et proche, tantôt bizarre tantôt normal, celui d’une humanité du recyclage ait obtenu le Prix Marco Zucchi / Semaine de la Critique au Festival de Locarno.

3.5

RÉALISATEUR : Stéphane Breton
NATIONALITÉ :  française
GENRE : documentaire
AVEC : 
DURÉE : 1h14
DISTRIBUTEUR : Dean Medias
SORTIE LE 12 juin 2024