Les Olympiades : amour degré zéro/pas de limite

Depuis De battre mon coeur s’est arrêté et Un Prophète et leurs moissons extraordinaires de César, Jacques Audiard est l’un des cinéastes français les plus admirés et respectés. Ayant commencé tard son oeuvre, à plus de quarante ans, le défi consiste pour lui, non pas à glaner des récompenses supplémentaires, but qu’il a déjà atteint, mais de pouvoir se renouveler. C’est l’objectif qu’il a donc recherché en tournant Les Olympiades, adaptation du roman graphique Les Intrus de l’auteur américain Adrian Tomine. En transposant l’action dans le Treizième arrondissement de Paris, Jacques Audiard a fait des Olympiades un état des lieux sentimental et sexuel de la France d’aujourd’hui, avec des relations multiples, transcendant les genres.

Paris 13e, Quartier des Olympiades. Emilie Wang, jeune téléopératrice d’origine chinoise, rencontre pour une colocation, Camille, professeur dans un lycée, qui sera plus tard attiré par Nora Ligier, agent immobilier, qui elle-même croise le chemin d’Amber, webcam girl. Trois filles et un garçon. Ils sont amis, parfois amants, souvent les deux.

C’est sans doute le film de Jacques Audiard le plus sexuel de toute son oeuvre, de très loin, comme si la caution féministe de Sciamma et Mysius l’avait complètement décomplexé et libéré de ce côté-là, le Male Gaze s’en donnant ici à coeur joie.

Lors de son oeuvre, Jacques Audiard a souvent dépeint des univers de films noirs (Regarde les hommes tomber), masculins à l’extrême (Un Prophète), retraçant les relations compliquées qu’il a pu avoir avec son père ou son frère (De battre mon coeur s’est arrêté, Les Frères Sisters). Dans ce monde viriliste, masculiniste, les femmes n’avaient guère le beau rôle, soit godiche devenant garce (Sur mes lèvres) ou handicapée (De rouille et d’os). Après avoir longtemps collaboré au scénario avec des hommes (Alain Le Henry pour les deux premiers, Tonino Benaquista pour les deux suivants, Thomas Bidegain pour les quatre autres), Jacques Audiard a pris en marche le train de la révolution #MeToo et a décidé de donner une inflexion décisive à son oeuvre en collaborant pour la première fois au scénario avec deux femmes réalisatrices, Céline Sciamma (Portrait de la jeune fille en feu), qu’on ne présente plus, et Léa Mysius (Ava).

Les femmes se trouvent donc à l’honneur dans le nouveau Jacques Audiard. Néanmoins on peut regretter que Audiard ait cru bon de se jeter à pieds joints dans un délire jeuniste à tous les niveaux : esthétique proche du clip par un montage haché, musique branchée confiée à Rone et Para One, absence totale de point de vue sur la sexualité et les relations montrées, insignifiance thématique des interactions entre les personnages. Dans une certaine mesure, ce jeunisme affiché montre une volonté rafraîchissante de renouveler son univers. C’est sans doute le film de Jacques Audiard le plus sexuel de toute son oeuvre, de très loin, comme si la caution féministe de Sciamma et Mysius l’avait complètement décomplexé et libéré de ce côté-là, le Male Gaze s’en donnant ici à coeur joie. Ce que l’on peut surtout regretter de la part d’un aussi grand metteur en scène, c’est qu’il ait cru bon de se vautrer à de nombreuses reprises dans la vulgarité la plus totale, en tournant des plans assez inqualifiables, cf. la démonstration de webcam de Amber Sweet, seule scène en couleurs du film, ou la scène au ralenti où, après un rapport sexuel avec un partenaire de passage, Emilie semble s’envoler comme dans un ballet, dans son travail.

Evidemment, comme Jacques Audiard n’est pas n’importe qui, la forme est assez brillante par le choix judicieux du noir et blanc qui esthétise le Treizième arrondissement de Paris et un montage assez vif et virtuose qui rend Les Olympiades assez plaisant à regarder, si on souhaite voir un « film de jeunes » sympathique et sans prétention. Car, en plus de la vulgarité souvent en avant dans les scènes de sexe, où Audiard reprend sans grande imagination, par mimétisme, les codes de la pornographie, Les Olympiades se signale par le caractère plutôt ténu de son intrigue, pas assez ample et universelle pour pouvoir représenter un monde qui se résume à un chassé-croisé sentimental et sexuel déjà mille fois vu et revu. Du côté de la contemporanéité, Julie (en douze chapitres) s’avère bien plus juste sur le désarroi sentimental et sexuel d’une certaine jeunesse ; du point de vue des médias et des réseaux sociaux, Un Héros se montre bien plus pertinent pour évoquer ses dangers et ses tentations. Dans cet entrelacs de relations assez insignifiantes à l’arrivée, dont Jacques Audiard n’arrive pas à faire grand’chose (la grand-mère d’Emilie en EHPAD, la soeur bègue de Camille, apprentie comédienne de stand-up), seule Noémie Merlant réussit à rendre véritablement émouvant son personnage, provinciale égarée à Paris, se prenant de plein fouet le vent de la calomnie, et réussissant à construire une vraie histoire d’amour. Hormis elle, les autres personnages ressemblent plutôt à des pantins dépourvus de conscience, gouvernés par leurs sens. Dans le registre de l’amour, sans vouloir être le moins du monde réactionnaire, on peut être bien davantage touché par Conte d’hiver ou Le Rayon vert d’Eric Rohmer, bien plus justes sur une grande partie de ce qui préoccupe sur le plan sentimental nos contemporains.

Vulgarité récurrente de la mise en scène, ténuité insignifiante de l’intrigue, pertinence discutable de l’aspect contemporain par rapport à d’autres films. On a l’impression que Jacques Audiard arrive trop tard, en retard au moins d’un train, en voulant à tout prix faire jeune, branché et féministe, en forçant sa nature. Il devrait au contraire se souvenir qu’il est préférable en tant qu’auteur de « chanter dans son arbre généalogique « . Il suffit de regarder ses premiers films, Regarde les hommes tomber ou Un Héros très discret, pour s’apercevoir de tout ce qui manque désormais aux Olympiades : une rigueur artistique, un caractère universel, une finesse et une sensibilité à fleur de peau. Dans Un héros très discret, on entend cette phrase mémorable énoncée par Jean-Louis Trintignant, « J’ai toujours trouvé que la vraie vie était insupportable. Je ne sais plus qui a dit que les vies les plus belles étaient celles qu’on invente « . Ce n’est pas le cas des vies des Olympiades.

2.5

RÉALISATEUR : Jacques Audiard 
NATIONALITÉ : française 
AVEC : Lucie Zhang, Makita Samba, Noémie Merlant, Jehnny Beth 
GENRE : Drame 
DURÉE : 1h45 
DISTRIBUTEUR : Memento Distribution 
SORTIE LE 3 novembre 2021