Les Harkis : une union fatale…

On ne présente plus Philippe Faucon, le bon nombre de films qu’il a produits pour la télévision ou le cinéma, et les quelques récompenses non négligeables qu’il possède à son actif. Ce cinéaste, qu’on peut qualifier de sobre ou minimaliste, s’est souvent intéressé à des sujets dits d’« Histoire » ou actuels pour les aspects douloureux qu’ils gardaient encore cachés en eux. Fatima, sept ans plus tôt, séduisait particulièrement le public et la critique, quand son film actuel, Les Harkis, présenté à la Quinzaine des réalisateurs, vient résonner avec sa Trahison, dix-sept ans plus tôt, rappelons que Philippe Faucon est né au Maroc en 1958 (d’un militaire et d’une mère pied-noire), soit en plein durant les évènements d’Algérie, appelés également « guerre », drame qui s’est déroulé au moins entre 1954 et 1962 jusqu’à l’indépendance du territoire, ancien département français depuis 1830. Depuis, on peut rappeler, parce qu’elle subsiste, la mauvaise presse des pieds-noirs (français ayant vécu en Algérie française en la considérant comme leur patrie) comme des harkis (combattants de l’Algérie française aux côtés de l’armée contre leurs frères très armés, les fellaghas, partisans eux de l’Indépendance), aussi forte que les souffrances qu’ils ont endurées respectivement.

Un panier, en osier, posé, devant une entrée : à l’intérieur, une tête… décapitée.

Le film commence par un générique d’ouverture qui laisse la place à la musique (d’Amine Bouhafa) par l’intermédiaire du lent mais rythmé frapper sur une darbouka, installant le récit dans une ambiance orientale, calme, pacifique et sans doute familière à celle que vivait le peuple algérien dans la fraîcheur de ses maisons de pierre, ses parcelles d’oliveraies ou la promenade des troupeaux de chèvre dans les montagnes – que Faucon emprunte, pour les besoins du tournage, au Maroc. Cela n’a pas le temps de durer que l’on voit soudain en dernier plan d’une entrée de maison un panier d’osier posé : vision d’horreur immédiate ! Dans le même temps, de jeunes algériens se séparent de leur famille (femme et jeune enfant) pour s’enrôler dans les petites formations paramilitaires présentes sur le sol, parce qu’ils n’ont pas forcément de travail leur permettant de subvenir aux besoins de la famille, mission qui va les armer pour lutter contre les bandes violentes pro indépendance, sans y être réellement préparés ni moralement ni physiquement. Cette scène, rendue solennelle par la présence de militaires de métropole haut gradés et prononçant un discours patriotique à servir le drapeau national auprès de cette Harka 534, rendue sobre par une mise en scène minimaliste sans trop de jeu de mouvements de caméra, verra les personnages prendre en main un fusil… C’est que Philippe Faucon, comme à son habitude, tient à la véracité de la reconstitution afin de rendre son film aussi rigoureux que précis, ses images aussi pures que ses plans sont au cordeau : véhicules civils ou militaires dans la situation, vêtements et uniformes d’époque, armes et accessoires typiques des années 50 et 60, affiches publicitaires de propagande française comme panneaux de l’Indépendance finale formeront l’environnement visuel, faisant frôler la manière documentaire à cette fiction dont le récit se base sur des écrits de Robert Luca sur l’histoire singulière et sanglante des harkis.

Quand la fiction vient frôler la manière documentaire pour éclairer l’histoire singulière et sanglante des harkis.

Si le film ne tire pas sur le mélo, on assiste tout de même à des séances de torture (électrique ou au café brulant renversé dans le cou) pour faire parler les fellaghas – Krimou en sera le premier représentant mais il finira par rallier les troupes des harkis sous la menace de mort –, commandée par les gradés, et notamment Krawitz (Pierre Lottin) au discours simpliste du type « Il parle ou il crève », à des ratissages de villages, à des conditions d’attente dans les montagnes chaudes et poussiéreuses dont on perçoit immédiatement que l’issue ne sera pas favorable. C’est le lieutenant français Pascal (le discret Théo Cholbi) qui dirigera les instructions tout du long, et qui jusqu’au bout, accompagnera ceux dont le sort sera de mourir égorgé pour avoir trahi un peuple ou d’attendre d’émigrer depuis Oran jusqu’à la France, avec ou sans leur famille. Ahmed (Omar Boulakirba), Kaddour (Amine Zorgane), Salah (Mohamed el Amine Mouffok) deviennent ici les jeunes vrais héros d’une Histoire qui se sera servie d’eux, tout en ne les récompensant pas, voire en les abandonnant. Le récit passera vite sur les dernières années de la guerre (1959-1962), en ne balisant le tableau que par des dates clés sur fond noir (!), pour se concentrer sur une phase essentielle parce que d’ordre déontologique : en 1960, la France commence une négociation avec le Front de Libération nationale en vue d’un cessez-le-feu qui ne sera effectif que trois ans plus tard, laissant les harkis dans le doute sur leur devenir, leur avenir, leur survie même, dans le cas où ils seraient abandonnés par le pays pour lequel ils se sont pourtant battus. Si les scènes plus personnelles entre deux personnages sont rares – un déjeuner entre un père et son fils, un pressentiment d’une mère envers son fils avant engagement ou une discussion entre deux harkis autour d’un feu des camps sur leurs amours respectives –, le film déploie une force plus émotionnelle aux trois quarts du récit, au moment où la nécessité de fuite en clandestinité vient se heurter aux mensonges et trahison de l’État. Le Général de Gaulle avait pourtant fait des promesses, comme les lieutenants, sur les conditions de fin de guerre (un lopin de terre ici, une pension là-bas, un accompagnement psy ne seront pas professions de foi).

Le film déploie une force plus émotionnelle au moment où la nécessité de fuite en clandestinité vient se heurter aux mensonge et trahison d’un État.

Comme au début du film, la fin explicite que les harkis sacrifiés ont été de 35 000 à 80 000, selon les historiens, pour 90 000 évacués en France dans des camps contraints jusqu’en 1976 au moins. La suite des représentations, on la connaît. La suite des exactions aussi, comme les conséquences qui continuent de faire exister un racisme algérien injustifié, les élections continuent de le prouver. Si Philippe Faucon assume que son film est venu puiser dans une part de sa biographie, il réussit pourtant à concentrer en moins d’une heure trente de beaux portraits et un tableau peu glorieux français qui, s’il donne à voir des fantômes, semble nécessaire à regarder. Et peut-être que sa photographie sera récompensée…

4.5

RÉALISATEUR :  Philippe Faucon
NATIONALITÉ : France
AVEC : Théo Cholbi, Pierre Lottin, Omar Boulakirba, Amine Zorgane, Mohamed el Amine Mouffok, Yannick Choirat
GENRE : drame historique
DURÉE : 1h22
DISTRIBUTEUR : Pyramide
SORTIE LE 19 mai 2022