Les Gens d’à côté : ode sensible et juste à la réconciliation

La sortie d’un nouveau long métrage d’André Téchiné, aujourd’hui âgé de 81 ans, constitue toujours un événement dans une année cinématographique. D’aucuns considèrent que le cinéaste d’Hôtel des Amériques, Rendez-vous, Ma saison préférée ou des Roseaux sauvages est en sous-régime depuis maintenant quelques années. L’auteur de ces lignes pense exactement le contraire. Ces œuvres récentes ont enrichi sa filmographie, l’emmenant davantage sur un versant social et politique d’une grande pertinence. C’est bien évidemment le cas avec Les Gens d’à côté, présenté à la dernière Berlinale dans la catégorie Panorama.

Le film met en scène une rencontre : celle de Lucie, agent de la police technique et scientifique, avec ses nouveaux voisins (un jeune couple et leur petite fille) dans la zone pavillonnaire dans laquelle elle réside. Une arrivée qui finit par troubler le quotidien de Lucie. Alors qu’elle se prend d’affection pour eux, elle découvre que Yann, le père, est un activiste anti-flic au lourd casier judiciaire. Le conflit moral de Lucie entre sa conscience professionnelle et son amitié naissante pour cette famille fera vaciller ses certitudes…

D’une certaine manière, le propos de Téchiné n’est pas tant d’opposer telle ou telle catégorie de Français que de montrer le manque de communication entre les différentes couches de la société et la nécessité d’un dialogue, d’une réconciliation voire d’une résilience

Dans le rôle principal, on retrouve Isabelle Huppert qui n’avait pas été dirigée par Téchiné depuis quarante-cinq ans, dans Les Sœurs Brontë, sorti en 1979. Cette dernière prouve une fois de plus (mais peut-on vraiment en douter ?) sa capacité à tout pouvoir jouer : ici une technicienne de la police scientifique. La première séquence du film nous la présente en train de participer symboliquement à une manifestation de policiers sur la voie publique, qui entendent dénoncer le fait d’être désormais des cibles, comme le prouve la liste des agents morts en activité égrenée par l’un des représentants syndicaux présents sur place. Un choix (celui d’aborder les violences policières) qui, dans le contexte actuel de fracture de la société française (entre les citoyens eux-mêmes / entre les habitants et les forces de l’ordre), semble courageux. Le long métrage est ainsi placé sous le signe de la complexité, de la nuance, ce qui est à saluer naturellement. Lucie est fonctionnaire, s’est engagée pour protéger les autres mais elle est fascinée par ce jeune couple qui s’installe en face de chez elle, choisissant de se rapprocher d’eux, même lorsqu’elle finit par découvrir que Yann, sous contrôle judiciaire, fait partie d’une organisation anti-flics aux méthodes violentes. Pour autant, ce dernier est aussi un artiste plutôt doué, exposé dans des galeries et dont le travail est très apprécié. D’une certaine manière, le propos de Téchiné n’est pas tant d’opposer telle ou telle catégorie de Français que de montrer le manque de communication entre les différentes couches de la société et la nécessité d’un dialogue, d’une réconciliation voire d’une résilience. Si le contexte social et les faits divers ont toujours occupé une place de choix dans ses réalisations (La Fille du RER, L’Homme qu’on aimait trop sur l’affaire Le Roux ou L’adieu à la nuit qui évoquait la radicalisation d’un jeune homme), il n’en a jamais constitué le cœur. Téchiné a souvent confié être plus intéressé par les affects, les sentiments qui transcendent le canevas de ses longs métrages, et qui nourrissent une trame volontairement romanesque.

A ce sujet, Téchiné n’hésite pas à insérer quelques scènes oniriques assez troublantes, joliment filmées, dans lesquelles Lucie reste en contact avec celui qu’elle a aimé

Dans Les Gens d’à côté, ce qui se joue, ce sont les conflits, les tiraillements de Lucie entre ce qui est intime et ce qui est citoyen, entre son métier qu’elle aime et veut poursuivre et les sentiments qu’elle ressent, notamment la solitude et la difficulté à faire le deuil de son compagnon d’origine africaine (policier lui aussi qui a fini par se suicider). A ce sujet, Téchiné n’hésite pas à insérer quelques scènes oniriques assez troublantes, joliment filmées, dans lesquelles Lucie reste en contact avec celui qu’elle a aimé. Il est également question de liens entre les vivants et les morts, faisant écho à l’un des derniers rôles d’Isabelle Huppert au cinéma, Sidonie au Japon.

Une fois de plus, la preuve est faite qu’André Téchiné est bien un excellent directeur d’acteurs et d’actrices.

Ainsi, Téchiné réussit à donner du relief, de la consistance à un récit relativement court (moins de 90 minutes) que certains trouveront probablement trop balisé ou prévisible, grâce à une mise en scène sobre et d’une grande élégance (qui permet de faire surgir les émotions les plus simples ainsi que toutes les tensions) et un travail de montage de qualité. Si on a évoqué plus haut l’interprétation de haute volée d’Isabelle Huppert, il convient également de souligner celle d’Hafsia Herzi dans le rôle d’une enseignante engagée, mais qui refuse de suivre son compagnon dans la radicalité. Sa performance est remarquable, elle forme avec Huppert un duo qui fonctionne et que l’on retrouvera prochainement à l’affiche de La Prisonnière de Bordeaux de Patricia Mazuy. Il en est de même pour Nahuel Perez Biscayart (révélé par 120 battements par minute de Robin Campillo), très juste dans le rôle de Yann qui connait lui aussi une sorte de conflit intérieur, partagé entre une envie de suivre ses convictions et celle de vivre pleinement sa vie en famille. Une fois de plus, la preuve est faite qu’André Téchiné est bien un excellent directeur d’acteurs et d’actrices.

Après le très beau Les Âmes sœurs (sorti l’an dernier), Les Gens d’à côté apparaît donc comme une nouvelle réussite, un film certes âpre et sec, mais juste et tout en nuances, porté par d’excellents interprètes. Assurément, en creusant un sillon qui est le sien depuis maintenant pas mal d’années, Téchiné occupe une place originale et essentielle dans le paysage du cinéma français.

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RÉALISATEUR : André Téchiné
NATIONALITÉ : française
GENRE : Drame
AVEC : Isabelle Huppert, Hafsia Herzi, Nahuel Perez Biscayart
DURÉE : 1h25
DISTRIBUTEUR : Jour2fête
SORTIE LE 10 juillet 2024