Des garçons de province - France - 84 min - sortie 01/02/23 - 2022 - Réalisateur : Gaël Lépingle - Scénaristes : Michaël Dacheux et Gaël Lépingle - LEGENDE PHOTO : Léo Pochat -

Des Garçons de province : des garçons pas sauvages

Depuis l’Aube ou le Loiret, dans leurs territoires ruraux, isolés, et dans leurs villages respectifs (Vendeuvre-sur-Barse dans l’Aube, La Chapelle-Saint-Mesmin et La Selle-en-Hermoy), ce sont trois tableaux, et par eux les portraits d’au moins trois jeunes hommes, identifiés ou moins, pris à travers le prisme de leur isolement d’identité sexuelle en… province, soit qu’ils y habitent, soit qu’ils y reviennent pour des vacances scolaires et revoir leur famille, soit qu’ils y passent, en troupe queer pour animer l’unique bar du village. Voici trois formes, organisées comme trois nouvelles – à la manière des Contes et Nouvelles de Maupassant, cite Gaël Lépingle – et qui se répondent entre elles, pour le plaisir de nos yeux et de nos oreilles – les garçons sont beaux et doux – d’un côté, de nos esprits (à y penser) et de nos cœurs (à partager ce moment de leur vie) de l’autre – chacun pris dans sa rencontre et de faux miroirs. Pour leur plaisir aussi, puisque ces Garçons de province, ces hommes de bonne compagnie, l’image nous les donne à voir, à travers trois récits qui ont la forme de haïkus, venus caresser une autre (et même) référence, celle du Plaisir de Max Ophüls – adaptation de trois nouvelles du romancier du XIXe siècle, intitulée « Le Masque », « La Maison Tellier » et « Le Modèle », et non sans rappeler, dans leur désordre des thèmes qui traversent le film, discrètement.

Portraits ébauchés, de trois garçons pas débauchés, cherchent cœurs à partager…

Youssef, jeune homme noir au tee-shirt rouge, a connu son homme qui l’a « chopé au lycée » dit-il : vivant avec celui qui envisage de s’installer en tant que restaurateur, il est prêt à travailler à toutes les menues taches qui se proposent à lui, plein d’entrain et d’énergie. Après qu’une bande queer déboule sur les lieux, pour faire spectacle et cabaret, depuis la morne gare du village, Youssef est pris d’un désir de s’émanciper de sa vie pour le moins banale, émoustillé devant le spectacle de la beauté, notamment devant le corps du danseur chorégraphe qui guide sa petite troupe de main de maître à travers champs (et chants). C’est qu’ils sont joyeux et semblent heureux ces lurons venus d’ailleurs (de la capitale ?), aux physiques divers mais à la langue (et pas que) décoincée, toujours en mouvement… Alors, faire « famille » pour celui qui a toujours pensé qu’être marié était « être sauvé » ou fuir ailleurs, fuir… Dans tous les cas, il semble seul, et le restera à décider de son destin… Le garçon aux talons déambule lui dans son bourg. Il a emprunté ses chaussures vernis à talons à une Élodie, est-ce la sœur de celui qu’il considère uniquement comme un sexfriend, ce petit blond aux allures de petit bourgeois avec sa chemise vichy à grands carreaux, qui l’attend devant le portail de sa maison, croyant déjà au grand amour. C’est qu’ici, la chair comme le choix manquent. Même le marcheur dans sa tenue sexy et légère n’attirera le regard que de quelques passants, surpris devant sa déambulation, tour à tour lascive ou énergique, jusqu’à ce qu’il perde l’une de ses chaussures à la manière d’une Cendrillon… Sans prince, ils ne courent pas les rues, mais jamais sans ses déguisements (dont une perruque et une robe que l’on verra se trimballer), dans la solitude de parcs où quasi aucun enfant ne crie… Seul, il est, malgré la présence d’un frère rapidement croisé, en hors-champ, des cris d’amour de parents invisibilisés, avant bientôt un départ pour des études dont il n’est pas encore très sûr… comme s’il était difficile de quitter ce qui ne nous attache même pas… Dans une ambiance grise et pluvieuse, le troisième héros, Jonas, arrive triomphant depuis la voiture rouge de sa mère qui le transporte, chez un photographe : l’homme, d’un certain âge, lui indique de porter des déguisements d’antan (en marquis ou en conquistador, par exemple), tout en lui demandant de laisser paraître un peu ses organes, dans un sous-sol de sa maison isolée au bord d’une route et gardée par son chien. Il s’avère que le dénommé Mathieu est un professeur d’espagnol qui collectionne les photographies de jeunes garçons (mineurs ?), bien rangées dans des cartons légendés quand elles ne sont pas organisées dans son ordinateur, quand il ne fait pas des expositions plus classiques dans la salle des fêtes du village. Ce n’était finalement pas le plan cul, dit-il, auquel pensait Jonas, qui n’hésitera pas à émoustiller l’homme dont l’excitation semble davantage dépendre de la mise en scène (ou en images donc en boîte) que de l’attrait direct au corps. Chacune de leurs deux solitudes finira par se connaître un peu, et, à la guerre des dégoûts, ils finiront à égalité, une queue devant, une main derrière…

Ils sont beaux, ils sont seuls, qu’ils attendent ou qu’ils marchent, ces garçons rayonnent de leurs pas… de côté.

Qu’il est tendre et doux, simple et bon, ce nouveau film de Gaël Lépingle, qui se joue des mises en abyme, pour tenter de faire sortir de leurs boîtes ses héros. Si nous parcourons à travers le récit trois lieux, traversons une gare, partageons des trajets en camionnette ou en voiture – à ceux qui « conduisent » ou ceux qui sont « conduits » -, c’est l’idée d’un mouvement – et d’une caméra en mouvement avec l’utilisation de plusieurs formats du 4/3 au scope –, et d’êtres en mouvement qui est offerte ici alors même que tout semble les contraindre : pris dans leurs contextes et leurs situations sociales, les trois personnages semblent dépendre de l’isolement – environnemental ou intérieur – qui les accable, et contre lequel, chacun à sa manière, lutte. Ce sont aussi des mouvements dansés (et chantés) qui viennent se confronter à l’image figée de clichés qui varient grâce au déguisement. La question du masque n’est pas abordée frontalement, pourtant, chacun semble en porter un, par l’intermédiaire du maquillage, des costumes, de quelque objet de décoration récupéré pour changer d’image, changer son image, vis-à-vis de soi ou des autres, selon que le spectacle soit privé ou public, selon qu’il y ait un spectateur ou non. Gaël Lépingle parvient à créer une émotion toute tendre à travers les trois récits qui ne choisissent pas la banalisation de la sexualité, ici homosexuelle : Youssef alcoolisé, ébauchant un strip-tease, débout sur un table, le garçon à talons entré dans un fantasme érotique à travers un rêve dont on ne dira rien de l’image, Jonas se masturbant devant la photographie d’un angelot pris par Matthieu qui le dégoûte pourtant. Ce sont également un ballon rouge en forme de cœur échappé dans les airs, une chaussure volée et un dossier de photographies supprimées qui renvoient à l’éphémère de la vie, malgré le transport que de petites choses peuvent procurer, lorsqu’on est amené à sortir de son cadre, confronté à une autre couleur, ou à d’autres nuances de gris. Car ici tout est une histoire de cadre ou de décadrage, entre les panoramiques sur les paysages esseulés blond-vert-bleu, pour ces histoires de garçons en cours, qui ne rêvent, comme tout le monde, qu’à être vus ou regardés, aimés ou désirés, chamboulés ou photographiés, pris entre leur fiction et leur réalité, comme le geste de Lépingle crée ce trouble parfois du genre filmé. À l’épilogue, d’une cruelle beauté, se réunira au Secret (célèbre cabaret parisien) la troupe rencontrée à l’orée du récit pour la boucle boucler… dans une époque où « on ne meurt plus d’amour » chante-t-il. L’amour manque donc à ces garçons esseulés, mais pas au film, qui, tendrement et patiemment, dans sa petite durée, livre un geste doux à nous les faire aimer… ces provinciaux si joliment efféminés.

Quand Dominique A parlait de « geste absent », Gaël Lépingle vient y répondre par ce geste présent, dans la solitude des champs de blé.

4

RÉALISATEUR : Gaël Lépingle 
NATIONALITÉ : France
GENRE : Romance de notre temps 
AVEC : Léo Pochat, Yves Batek-Mendy, Édouard Prévot, Serge Renko, Jérôme Marin
DURÉE : 1h24
DISTRIBUTEUR : La Traverse
SORTIE LE 1er février 2023