Les filles désir : amour(s) en bande organisée

Comment devient-on un homme ? Un homme “carré ”, futur père, respecté, ami fidèle et fiable à toute épreuve. Qu’est-ce qu’être une femme, une vraie, sans être automatiquement rivale de l’autre, construite dans la seule volonté de plaire à des hommes qui n’auront jamais aucun respect pour nous ? Et puis c’est quoi, des “filles désir”, expression empruntée au titre de la chanteuse Charline Mignot, aka “Vendredi sur mer” ? Bien loin des salons feutrés intellectuels ou aisés où ces questions gagnent en hauteur depuis l’essor du féminisme et le post-#MeToo, Les filles désir nous plongent dans les vagues sous les crânes de jeunes Marseillais des quartiers. Après plusieurs courts et clips, la réalisatrice Prïncia Car livre ici son premier long-métrage, réalisation collective présentée à la Quinzaine des cinéastes à Cannes. Faussement simple, sensuel et ensoleillé, finalement surprenant : de quoi se laisser emboucaner avec plaisir. 

Marseille, l’été. À 20 ans, Omar et sa bande, moniteurs de centre aéré et respectés du quartier, classent les filles en deux catégories : “celles qu’on baise” et “celles qu’on épouse”. La réapparition de Carmen, meilleure amie d’enfance d’Omar, de retour après sept ans d’absence pendant lesquels elle “a fait le trottoir”, va bouleverser l’équilibre du groupe, leur rapport au sexe et à l’amour.

La caméra de la réalisatrice les suit au plus près, collée aux peaux brunes et mordorées, salées, un regard féminin qui ne nous épargne pas les pires travers et machismes archaïques de ce groupe de potes auquel on s’attache

Avec Les filles désir, la réalisatrice marseillaise Prïncia Car jette à l’écran le Marseille, sans fard, qu’elle connaît et explore depuis des années. Il faut suivre les dialogues, l’accent qui chante dévorant des phrases débitées à toute vitesse, les vannes qui mitraillent, les insultes entre deux accolades où l’amitié est celle de frères de sang unis par un pacte qui ne dit pas son nom. C’est celui des gamins qui grandissent sur le bitume tabassé par le soleil et le manque d’horizon. La caméra de la réalisatrice les suit d’ailleurs au plus près, collée aux peaux brunes et mordorées, salées, un regard féminin qui ne nous épargne pas les pires travers et machismes archaïques de ce groupe de potes auquel on s’attache : leur manière de parler des femmes reste intolérable. On détourne le regard quand l’un d’eux file 100 euros au plus jeune de la meute, qui vient d’avoir 18 ans, pour qu’il aille aux putes, et qu’il y aille violemment, “jusqu’au bras”, sinon ça ne sert à rien…

Les filles désir est l’histoire de sentiments et pulsions non contrôlés, d’apprentissage, de rites pour devenir un “bonhomme” même quand on voudrait être un mec bien. On bascule facilement du côté obscur, à l’ombre des tours marseillaises. Et c’est Omar (Housam Mohamed), le chef de bande, sauveur du centre aéré et héros des minots du coin, celui qui veut se marier avec la douce Yasmine et mener “une vie carrée”, qui se verra le plus chahuté par ses morsures internes. Au risque de tout perdre, attiré par une Carmen (l’électrique Lou Anna Hamon) qui chavire tous les esprits et provoque la terre entière, dans un mélange de violence et de fragilité insaisissable. 

Le scénario de ce groupe de mecs et filles à l’orée de l’âge adulte pourrait paraître simple, mais les acteurs et actrices, tous non-professionnels et appartenant à la même troupe marseillaise, l’illuminent avec une facilité déconcertante. Oui, c’est la vie de tous les jours. 
Les lumières bleues et dorées de la cité phocéenne, sublimes, colorent le film d’un côté rétro, pour une fable contemporaine qui semblerait pouvoir se dérouler sous nos yeux aujourd’hui, hier, ou demain. Même si on espère toujours que le “demain”, sur les sujets de féminisme et de sororité qu’explore le film, sera bien différent.

On n’attendait d’ailleurs pas un tel dénouement, qui s’il paraît peu crédible sur les premières secondes, comme une happy end un peu trop poétique, saisit finalement au cœur et soulève le grain de peau. L’occasion, pour les fans de “Vendredi sur mer” qui l’attendaient tout au long du film, d’enfin entendre le titre de la chanteuse suisse. « Ça sert à rien, pourquoi courir / Il y en a plein des filles désir. »

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RÉALISATRICE : Prïncia Car
NATIONALITÉ :  Française
GENRE : Drame
AVEC : Housam Mohamed, Leïa Haïchour, Lou Anna Hamon
DURÉE : 1h 33min
DISTRIBUTEUR : Zinc Film
SORTIE LE 16 juillet 2025