Les enfants rouges: la valeur n’attend point le nombre des années

C’est seulement le deuxième long-métrage du réalisateur tunisien mais celui-ci démontre toute la maîtrise technique et artistique qu’il est capable de faire valoir à cette occasion. Le film est inspiré d’un fait divers tragique ayant eu lieu le 15 novembre 2015: dans la montagne de Mghila, une région du centre-ouest tunisien proche de la frontière algérienne, un jeune berger du nom de Mabrouk Soltani est sauvagement assassiné par des terroristes islamistes. L’histoire défraya la chronique et fut largement relayée à travers les médias et les réseaux sociaux, provoquant un sentiment d’effroi national. C’est ainsi que le film a valeur de documentaire, en nous incitant à ne pas oublier les faits et ce dont est capable la barbarie humaine – la manière dont est exécuté le jeune garçon est particulièrement atroce. Le motif qu’invoque les djihadistes dans le film – ainsi que dans la réalité est que ce dernier servait d’informateur aux forces de l’ordre.

Nizar, 16 ans, et Achraf, son petit cousin de 14 ans, emmènent paître leur troupeau de chèvres à la recherche d’un point d’eau particulièrement prisé que connaît Nizar. Là, ils scellent leur amitié, plongeant la tête sous l’eau, s’aspergeant réciproquement, se mettant à chanter et à danser ensemble et s’allongeant l’un à côté de l’autre sous le soleil accablant. Leur intimité physique, leur proximité au milieu de la nature généreuse – après un long périple parmi les broussailles et au travers de chemins rocailleux – apparaît dès l’abord comme un moment idyllique qui revient hanter la mémoire de Achraf, le survivant de la tuerie, au moyen de flashes qui corroborent l’émotion triste et le sentiment de nostalgie du jeune adolescent. Une page s’est tournée et Achraf vient de perdre son innocence pour entrer brutalement dans l’âge adulte. Ainsi le film est aussi l’histoire d’une initiation.

Car ce qui ressort de ce dernier et du personnage d’Achraf c’est le courage –  d’où le titre: rouge venant d’une expression de la région désignant la vaillance, la résilience, la capacité à s’en sortir – merveilleusement incarné par le jeune acteur Ali Hlali dont le visage à son tour hantera nos souvenirs de cinéphile.

Achraf est le porteur d’un message terrible et qui pèse sur ses épaules encore fragiles d’enfant. Il espère, avec la petite amie de Nizar, pouvoir s’en décharger auprès des grands et de la famille qui eux sauront quoi faire. Mais ce n’est pas aussi simple et les adultes discutent beaucoup entre eux avant de prendre une décision, ne sachant eux-mêmes vers qui se tourner pour les aider dans leur entreprise. Le film montre à quel point la population rurale de ce petit village est laissée à l’abandon, loin de tout et de la première ville la plus proche. En effet, le destin voudra que le frère de Mabrouk se fasse assassiner deux ans plus tard dans les mêmes conditions sans que le pouvoir politique malgré ses déclarations dans les médias ait fait quoi que ce soit pour empêcher le drame. Dix ans plus tard, il est bien temps d’honorer leur mémoire.

Le sentiment de deuil d’Achraf se lit dans la mélancolie qui habite le personnage, visible à travers son langage corporel et les pleurs qu’ils versent au souvenir de son ami, mais aussi dans les hallucinations qui le traversent, ayant l’impression de parler avec le défunt, de le voir comme s’il était encore en vie, tant il est difficile de se déshabituer tout d’un coup d’une personne que l’on a côtoyé quotidiennement. En effet, selon une croyance que l’on retrouve dans le système des gangs, l’âme d’un corps qui n’a pas été entièrement reconstitué est censée errer éternellement dans les enfers – double punition donc, réservée à leurs pires ennemis – ce qui explique les dernières paroles de Nizar selon lesquelles il ne pourra plus communiquer avec Achraf lorsqu’on aura retrouvé son corps. La fonction onirique, presque fantastique, du film se justifie ainsi pleinement. La nature aride et sèche de la région où se déroule l’histoire est filmée sans faux-semblant comme elle doit l’être et tranche en la soulignant avec la solidarité et le sentiment de dignité qui habitent les villageois. On pourrait parler de résignation s’il ne subsistait cependant quelque espoir. Comme celui de cette jeune fille qui prend le temps d’étudier – la complicité qui unit Achraf à cette jeune fille est d’ailleurs très bien rendue –  et entend pousser ses études le plus loin possible et donc quitter le village à moyen terme. Sans parler de la fin du film qui nous engage à un relatif optimisme. Car ce qui ressort de ce dernier et du personnage d’Achraf c’est le courage –  d’où le titre: rouge venant d’une expression de la région désignant la vaillance, la résilience, la capacité à s’en sortir – merveilleusement incarné par le jeune acteur Ali Hlali dont le visage à son tour hantera nos souvenirs de cinéphile. Un film subtil dans son écriture, très maîtrisé et magnifiquement interprété à voir absolument.

4.5

RÉALISATEUR : Lotfi Achour
NATIONALITÉ :  Tunisie, France, Belgique, Pologne Arabie Saoudite, Qatar
GENRE : Drame
AVEC : Ali Hlali, Wided Dadebi, Yassine Samouni
DURÉE : 1h40
DISTRIBUTEUR : Nour Films
SORTIE LE 7 mai 2025