Les néons criards du salon de massage new-yorkais s’éteignent enfin. Didi en ferme la porte après une longue journée. Alors que la pétillante femme chinoise pousse le rideau de l’arrière-boutique, c’est dans son intimité et celle de ses collègues, que l’on pénètre. À demi-mots, dans les silences et les sourires échangés, se dessinent leurs histoires personnelles. Didi, un peu plus âgée, veut profiter de la vie. Elle est très liée à Amy, l’une de ses collègues, plus introvertie, ainsi qu’à un homme taïwanais avec qui elle entretient une relation romantique. Comme elle, ils ont fui, cherchant une vie meilleure ailleurs, dans ce New York promesse d’échappatoire à la pauvreté, aux créanciers, à la vie d’avant.
La première partie du film nous entraîne aux côtés de ces trois personnages et de leurs satellites dans une joyeuse, bien que pudique, ode au recommencement. L’amitié, et plus particulièrement la sororité, comble le grand vide laissé par le pays natal, l’abandon des proches et la perte des repères. Tous semblent doucement reprendre racine ensemble, à travers les plats du pays et une entraide sans faille. Les angles intimistes de la caméra, les couleurs douces, sombres et pastel nous immergent dans leur monde. On les observe vivre, tel un spectateur discret, une mouche sur le mur qui détournerait la tête lorsque l’émotion… et le désir, deviennent trop palpables.
Inévitablement, l’équilibre fragile vacille. La violence, symbolique et bien réelle de cet univers de pauvreté des communautés migrantes, se dévoile progressivement. Réapparaît alors cette solitude que l’on tente, tant bien que mal, de combler avec l’Autre. Émouvant, le film déploie avec sensibilité une histoire finalement universelle : celle de l’exil. Leurs rêves et espoirs pour le futur naissent et s’effondrent, à l’image des vagues qui s’écrasent sur la plage de Baltimore. Horizon rêvé tout au long du film, Eldorado fantasmé, il est une promesse d’un avenir meilleur, si proche et pourtant inaccessible, que l’on ne connaît qu’à travers une photo froissée sur un mur.
Récit de migration, récit de femmes, le film explore l’expérience féminine dans ce qu’elle a de plus beau — sa solidarité— mais aussi dans ce qu’elle a de plus sombre et violent. Le film ne dresse cependant pas le portrait de victimes passives mais bien celui de femmes qui, malgré l’adversité, mettent tout en œuvre pour s’en sortir.
Quant aux hommes, ils sont esquissés avec justesse et échappent aux caricatures. Certains sont des partenaires aimants, des clients bienveillants. Toutefois, le compagnon sincère pour l’une est un père démissionnaire et infidèle pour l’autre. La violence est là, insidieuse, prête à se déchaîner tout en demandant pardon.
Le film scrute la façon dont chacun tente de survivre dans un monde qui n’épargne pas. Il y a ceux qui cherchent dans le couple une échappatoire à la solitude, ceux qui trouvent du réconfort dans l’amitié, qui se créent une famille d’adoption pour affronter ensemble l’adversité… d’autres encore sombrent dans le crime.
Finalement, si certains plans s’étirent un peu trop et que quelques bâillements se font entendre dans la salle, ces longueurs nous plongent dans une contemplation presque hypnotique. On se surprend, les yeux perdus dans les décors du Nouvel An lunaire, à se perdre dans nos propres émotions. Quelque chose se passe, et malgré ces lenteurs, le film ne nous perd pas. Porté par des acteurs d’une justesse troublante à la complicité bouleversante, on reste captivé jusqu’à la dernière séquence, priant pour que le rêve américain tienne ses promesses.