Les chroniques de Pierre : Maigret, dans l’ombre de la pipe

Disparu des salles sombres depuis près de cinq décennies, le commissaire Maigret reprend du service sous la direction du cinéaste Patrice Leconte. Un retour crépusculaire, à la limite de l’évanescence, où la célèbre figure inventée par l’écrivain belge Georges Simenon apparaît à vif. Une lecture toute personnelle, à l’ambiance lourde et aux couleurs désaturées, comme la fin d’une époque. Un Maigret sans pipe et sans appétit dans une enquête sombre commencée au blanc : on devine un vin âpre, indiscutablement minéral. Le temps d’un film, la mélancolie l’emporte.

Adaptation libre de Maigret et la Jeune Morte, roman policier paru en 1954 et porté à l’image plusieurs fois jusqu’en 1973, le Maigret de Patrice Leconte affine le titre de l’ouvrage pour ne retenir que l’essentiel : l’homme. Comme le commissaire le dit lui-même, et il a pourtant la parole rare, il y a des enquêtes qui brisent l’armure. Lorsqu’il découvre le corps sans vie d’une jeune femme, un souvenir douloureux lui revient et le hante. Maussade, il en perd l’appétit, il troque la blanquette de veau pour un verre de vin blanc. Il boit sans atteindre l’ivresse et laisse sa mythique pipe sagement dans sa poche. Un Maigret pas dans son assiette, mais toujours fin limier. Avec son pas lourd et sa carrure imposante, le placide commissaire trace sa propre route, loin des conventions. Il s’installe et s’imprègne des lieux. Avec son sens de l’écoute et sa liberté de parole, il parvient à ses fins. Un mot, un geste, un rien peut trahir une culpabilité. En cherchant l’identité de cette jeune fille, il croise le chemin d’une autre femme, loin de sa province natale, en quête d’une vie à Paris. Sa fragilité raisonne en lui, il ressent le besoin de l’aider, l’inscrivant plus encore dans une forme de figure paternelle. La cuirasse se fend, ce qu’il ne dit pas, son corps l’exprime. Et à ce jeu du silence, Gérard Depardieu est redoutable. L’acteur joue de son souffle, de son regard et de sa présence massive pour faire exister ce Maigret intime, aussi laconique qu’obstiné.

Un polar atypique, où la conclusion compte moins que le chemin à parcourir. Le mystère que représente cette jeune femme, dont il ignore tout, le possède littéralement. Comme sur un fil, Patrice Leconte et Jérôme Tonnerre racontent cette histoire avec intelligence et subtilité. Le suspense ne tient pas au dénouement, très vite éventé, mais plutôt au caractère anxiogène du film. Une brume épaisse entoure Paris et ses habitants, même en plein jour la lumière paraît timide, un contraste marqué accentue les silhouettes. Pour éclairer les zones d’ombre, le commissaire doit se montrer clairvoyant, quitte à invoquer la jeune femme décédée sous les traits d’une autre pour y voir plus clair. Si Patrice Leconte peine parfois à imposer un style de cadrage, il capte toutefois avec minutie son univers à la lisière de l’expressionnisme. Enfin, difficile de ne pas souligner la qualité de la bande originale de Bruno Coulais, tantôt atmosphérique, tantôt concrète. Une œuvre efficace.

RÉALISATEUR :  Patrice Leconte
NATIONALITÉ : français
AVEC : Gérard Depardieu, Jade Labeste, Mélanie Bernier
GENRE : Policier
DURÉE : 1h28
DISTRIBUTEUR : SND
SORTIE LE 23 février 2022