Les Chroniques de Marie : retour sur The French Dispatch. La France rêvée de Wes Anderson

L’avant-dernier film de Wes Anderson, L’île aux chiens, dans lequel, en raison d’une épidémie de grippe canine, le maire de la ville envoie les chiens sur une île en isolement, ne pouvait que laisser présager un film suivant délirant et alambiqué. The French Dispatch s’inscrit alors dans la parfaite continuité du registre du réalisateur mêlant folie et absurdité. C’est dans ce contexte artistique que The French Dispatch s’inscrit pour rendre hommage au journalisme et à l’art de l’écriture et du récit.


« The French Dispatch » est le titre d’un journal américain. Les reporters du journal sont envoyés aux quatre coins de la France et des époques pour rapporter des récits. Construit sous la forme du « film à sketchs », enchaînant des récits allant de 2 à 30 minutes, The French Dispatch couvre divers époques, lieux et personnages. Un de ces épisodes sera ainsi les évènements de mai 1968, rapportés par les journalistes y étant envoyés en reportage. Le spectateur est alors face au spectacle de Timothée Chalamet escaladant les barricades, suivi de la police aux fourneaux de la gastronomie française. Dans l’ensemble, le film est un enchaînement absurde des époques, des genres, des références, des techniques, conçu comme un numéro spécial du journal.

Au-delà d’évènements racontés à la Wes Anderson, The French Dispatch est le tableau vivant de la France rêvée du cinéaste. On y retrouve un condensé de références historiques remplies d’humour et témoignant de l’imagination débordante d’Anderson. Si certaines références sont presque grotesques dans leur simplicité et leur évidence, pouvant laisser penser que le film est presque enfantin, tout est en réalité dans le détail, les filons cachés, nécessitant pour tout saisir d’avoir une attitude extrêmement attentive sur l’ensemble des plans. Ainsi en est-il par exemple des cigarettes appelées « gaullistes », que seuls les spectateurs avertis et au regard actif lors du visionnage auront perçues. C’est sûrement ce
qu’Anderson recherche aussi à travers ce film, que les spectateurs ne passent pas uniquement un moment divertissant, qu’ils ne soient pas simplement pris dans la toile de sa folie et de son univers névrosé, mais aussi qu’ils soient attentifs, réfléchis, que le visionnage occupe leur esprit et ne les mette pas simplement dans une attitude passive de « détente » pure, comme pourraient la rechercher certains en allant au cinéma. Ainsi, Anderson mêle passion, plaisir de créer et de filmer, et cela se ressent profondément et intensément au visionnage.

Plus en détails, The French Dispatch rend compte de l’âme du journal. A travers ces histoires rapportées des quatre coins de la France et des époques, on entre dans l’Histoire, mais aussi dans l’univers d’Anderson. Il réussit à la perfection l’équilibre entre réalisme et imagination, réalité et fiction. Loin d’anecdotes indépendantes et sans lien, une harmonie d’ensemble les unit, donnant une cohérence à ces récits historiques qui constituent justement l’âme du journal, et finalement du film. Anderson aura réussi à travers ce film, à faire cohabiter en harmonie les opposés : un journal et un film, le concret et l’abstrait, la réalité tangible et l’art non-figuratif.

The French Dispatch est un film qui en repousse certains, car il donne du travail au spectateur. Mais si c’est un film riche, conceptuel, qui fait turbiner le cerveau et l’esprit, c’est aussi un film qui rend hommage à un art : le récit, et ce, sous toutes ses formes, que ce soit le roman, le journal ou l’écriture pure. Anderson use de son art, le cinéma et de sa virtuosité en la matière, ainsi que du talent du casting plus que grandiose, pour témoigner de son respect et de son admiration pour un autre art, celui du récit, et on ne peut qu’admirer cette alliance des genres que l’on retrouve rarement, et cette dévolution à l’éloge d’un art qui n’est pas le sien.