Depuis le 14 décembre 2022, date de sa sortie dans les salles françaises, Avatar : la voie de l’eau de James Cameron, a atteint en un seul mois les 10 millions d’entrées sur le territoire et a allégrement dépassé tous les films en-tête du box-office, sortis depuis le confinement (Spider-Man : No way home, Le Roi Lion). Il est donc en piste pour essayer de rattraper tout simplement Avatar, le premier du nom, qui le contemple du haut de ses quinze millions de spectateurs français. Pourra-t-il le faire en dépit du confinement qui a grandement fait diminuer le quota de spectateurs susceptibles de retourner dans les salles? C’est un grand pari qui donnera des indications sur la capacité que la fréquentation des salles aurait de se redresser définitivement.
Néanmoins, en dépit de ce succès d’ores et déjà immense, Avatar : la voie de l’eau a vu une levée inédite de boucliers qui ne s’était pas manifestée lors de la sortie du premier, pointant maints défauts rédhibitoires. Quid de ces défauts qui rendraient selon certains spectateurs ou critiques la vision de ce film peu recommandable? Résumons cela en quelques points.
Pas assez de scénario?
De nombreuses observations de spectateurs et/ou de critiques portent sur la faiblesse supposée du scénario de Avatar : la voie de l’eau. Selon eux, ce scénario pourrait se résumer en deux lignes : le Colonel Miles Quaritch, recombiné en Na’Vi, veut se venger et mû par une haine irrépréssible, voue à sa perte Jake Sully qui l’a trahi en tant que renégat de la race humaine, ainsi que Neytiri et leurs enfants. D’un point de vue superficiel, ce n’est pas faux. Mais 1) bizarrement, on n’adresse pas ce type de reproches à tous les films, fort nombreux, qui sont construits sur une volonté de revanche, en particulier ceux de Tarantino (Kill Bill 1 et 2, Boulevard de la mort), ou La Mariée était en noir de François Truffaut ou encore Sudden Impact (Le Retour de l’Inspecteur Harry) de Clint Eastwood. 2) Cela semble occulter le fait évident que depuis a minima Titanic, tous les films de James Cameron se reposent sur un antagoniste caricatural et un schéma scénaristique simple, voire basique : le fiancé de Rose (pauvre Billy Zane) et un Roméo + Juliette que n’aurait pas renié William Shakespeare ; dans Titanic ; le même colonel Quaritch dans le premier Avatar, militaire oppresseur sans scrupules, joué sans trop de nuances par Stephen Lang, avec une opposition Blancs-Indiens, assez basique, hormis le fait remarquable que le spectateur se range naturellement du côté des Indiens. Si on remonte plus loin dans la carrière de James Cameron, et si on fait fi des courts-circuits temporels, il a toujours eu besoin d’antagonistes forts et clairement identifiés, gages d’une fiction efficace sur le spectateur : le Terminator-800 dans Terminator, l’Alien dans la suite du film de Ridley Scott ou le Terminator-1000 dans Terminator 2. 3) Cela occulte également le fait que, en comparant les deux films, à moins d’être de mauvaise foi, Avatar : la voie de l’eau est bien moins manichéen que le premier Avatar. Le principal opposant, Quaritch occupe désormais le corps d’un Na’vi. Or cela a, en dépit de son caractère foncièrement négatif, des répercussions certaines sur ses décisions (le fait d’épargner les habitants d’un village, l’hésitation entre le meurtre de Kiri et la menace de Neytiri sur Spider). On imagine sans peine que Quaritch pourrait basculer du « bon » côté au vu de ses interrogations, même s’il a voulu éradiquer toute trace de son identité humaine, en pulvérisant à la manière d’un Hamlet revisité son propre crâne. De la même manière, Spider, fils de Miles Quaritch, est complètement non-manichéen, partagé, voire déchiré entre son attachement pour la famille de Jake Sully qui l’a accueilli et élevé, et ce père sorti de nulle part à qui le rattache une pulsion atavique. Par conséquent, même si le scénario d’Avatar : la voie de l’eau était basique, il ne l’est certainement pas moins que bien des films remarquables de l’histoire du cinéma. Mais, en fait, en examinant attentivement ses personnages d’antagonistes (Quaritch, Spider), ils sont écrits de manière bien plus subtile et nuancée qu’on ne le croit, et surtout bien moins caricaturale par rapport à Titanic et au premier Avatar.
Néanmoins ce scénario apparent qui fonctionne au premier degré pour le spectateur lambda n’est peut-être pas le véritable scénario du film. Comme le disait Chabrol, citant Auden, dans Bellamy, derrière toute histoire, se profile une histoire cachée. Or tous les indices convergent pour indiquer que la véritable histoire du film ne réside pas dans la haine aveugle de Quaritch et la fuite de Jake Sully, mais bien plutôt dans une histoire de paternité et de filiation. Entre ses deux fils, Neteyam, le fils préféré et Lo’ak, le fils prodigue, Jake Sully n’hésite pas, il choisit le premier et ne voit pas ce que le second apporte, sinon des ennuis. Toute l’histoire d’Avatar : la voie de l’eau consiste en la manière dont Lo’ak va réussir à attirer l’attention de son père et à se faire enfin reconnaître par lui. Certes, il faudra attendre que le fils aîné disparaisse et que le cadet réussisse enfin à sauver la vie de son père pour que ce phénomène de reconnaissance (le fameux « I see you ») advienne. Mais il s’agit bien du mouvement principal du film, et avouons que cela diverge totalement de la banale histoire de vengeance dont les détracteurs du film ne cessent de parler. Par conséquent, Avatar : la voie de l’eau possède un véritable scénario mais ce n’est pas celui qu’on croit.
Pas assez de mise en scène?
La plupart des spectateurs d’Avatar se sont extasiés sur la révolution technologique que le film représentait, même s’ils avaient des réserves sur l’histoire ou la thématique. Certains spectateurs d’Avatar : la voie de l’eau ont estimé que sur ce plan, le film n’était qu’une redite par rapport au premier. C’est négliger les immenses progrès technologiques accomplis dans les domaines du numérique et de la 3D en une petite dizaine d’années. Que ce soit dans la réalisation des « performance captures » qui atteint une fluidité jamais vue auparavant, ou la netteté des images en 3D, utilisant le High Frame Rate (soit un nombre supérieur d’images par seconde aux 24 habituelles, nombre pouvant dépasser les 100), Avatar : la voie de l’eau représente un pas en avant technologique incommensurable. Il suffit de comparer les deux films sur leur utilisation de la 3D et de la performance capture pour se rendre compte que les mouvements sont autrement plus fluides et convaincants dans le second Avatar par rapport au premier et que la 3D s’avère incroyablement plus immersive, s’immisçant presque totalement dans le champ visuel en profondeur. Dans ce deuxième volet, les performance captures ont eu lieu dans l’élément aquatique, ce qui représente un immense pas en avant par rapport aux performance captures réalisées sur terre ferme ; il est particulièrement singulier que le filmage paraisse tellement naturel que ce processus sous l’eau n’ait pas été remarqué et souligné. Concernant le High Frame Rate, si Ang Lee s’avère le pionnier en la matière (Un jour dans la vie de Billy Lynn, Gemini Man), remarquons que son utilisation hyper-réaliste du procédé s’est révélée nettement moins convaincante que l’utilisation en douceur effectuée par James Cameron, et que le résultat s’est montré moins probant (euphémisme) aux yeux des spectateurs. Il suffit de voir une séquence de making-of d’Avatar : la voie de l’eau et tout de suite après de comparer avec le résultat obtenu sur l’écran pour crier au talent, voire au génie de James Cameron.
Si celui-ci brille toujours autant dans les séquences d’action ‘(la séquence hallucinante de la chasse à la baleine ou celle du triple climax occupant la troisième et dernière heure du film), talent que personne ne lui niera, James Cameron s’illustre également en prenant son temps, de manière quasiment documentaire, ce qu’il n’avait pas fait dans le premier Avatar, et ce qui donne naissance à des séquences purement contemplatives, méditatives, poétiques, essentiellement concentrées dans les scènes aquatiques de Kiri et de Lo’ak. Hormis peut-être dans Abyss, Cameron n’avait jamais autant laissé libre cours à sa passion pour la mer et les océans, en les filmant de manière aussi dégagée de tout enjeu narratif, presque uniquement pour leur beauté intrinsèque, ce qui est pour beaucoup dans la fascination ressentie à la vision d’Avatar : la voie de l’eau. C’est même rare et précieux de voir une telle liberté prise avec la durée dans un blockbuster.
Qui dit mise en scène ne dit pas seulement inscription des mouvements dans l’espace mais aussi direction d’acteurs. La performance capture masque parfois les excellentes performances effectuées par certains acteurs comme Zoé Saldana (Neytiri), Sigourney Weaver qui joue de manière étonnamment crédible le rôle de Kiri, soit une adolescente qui a cinq fois moins que son âge, ou encore, plus en retrait, Kate Winslet, formidable dans le rôle de Ronal, très émouvante lorsqu’elle pleure la mort de son amie Tulkun. Pour de nombreux spectateurs, la performance capture représente un écran difficile à percer pour voir et percevoir réellement les prouesses des acteurs. Or, à l’évidence, c’est beaucoup plus remarquable de parvenir à bien jouer dans ce type de conditions. A la réflexion, on peut même se demander si l’attachement de cinéphiles classiques à Titanic tient, bien plus qu’à l’histoire, à l’identification potentielle plus facile à des acteurs visibles. Le fait qu’ils classent par ordre décroissant les trois derniers films de James Cameron (globalement, Titanic, Avatar et Avatar : la voie de l’eau) semble corroborer cette théorie. Dans Titanic, nous percevons encore les acteurs comme des êtres humains ; dans Avatar, à moitié, car le film est divisé entre la partie humaine/la partie Na’Vi ; dans Avatar : la voie de l’eau, plus du tout, car hormis quelques rares présences humaines, la population du film est à 80% formée de Na’vis. En passant, notons que certains spectateurs ont noté un aspect réactionnaire dans la voix off du film qui répète plusieurs fois « un père protège sa famille« . Or ils ne se sont pas aperçus que la plupart du temps, dans les faits, c’est Neytiri, bien plus efficace avec son arc, qui sauve sa famille, et non pas le pauvre Jake Sully, prétentieux dans ses déclarations mais moyennement efficace dans ses actions, dont le fils finit par sauver la vie à la fin du film. Donc, il ne faudrait pas confondre le message de la voix off avec les faits du film qui constituent la seule véritable vérité de l’histoire.
Pas assez d’écologie?
Le dernier reproche adressé à Cameron réside dans l’insuffisance d’écologie dans le message du film, sous prétexte que Avatar : la voie de l’eau ne prend pas suffisamment en compte les recommandations à faire à la suite du réchauffement climatique. Or Cameron, s’il a une sensibilité écologique, n’est certainement pas un propagandiste mais un conteur d’histoires et un metteur en scène. Contrairement à un Al Gore, il ne va pas raconter sous forme de démonstration argumentée dans des films que malheureusement peu de gens voient, comment la planète se réchauffe et la catastrophe écologique à laquelle ce phénomène va mener dans quelques décennies. Il ne faut donc pas confondre message écologique et sensibilité écologique. Avatar : la voie de l’eau correspond à la deuxième.
Pour Cameron, point besoin de longs discours, il suffit de montrer des images, celle de la planète Pandora qu’on voit à chaque plan, une planète qui aurait peut-être été la nôtre si le progrès et la civilisation ne l’avaient pas pour toujours détériorée, celle du règne d’un certain épanouissement de la nature. On est en droit de trouver cela naïf, voire trop rousseauiste cet étalage de film d’animation, recréé en l’occurrence en intégralité de manière numérique. On peut également considérer que ce que fait Cameron ne correspond plus au cinéma en prises de vues réelles tel que l’on l’a connu, avec des acteurs visibles et des décors naturels ou en studio mais réels, et que cela se rapproche davantage aujourd’hui de la virtualité des films de Miyazaki ou de Satoshi Kon. Cet immense progrès du numérique pose d’ailleurs une réelle interrogation sur ses limites et ses capacités de représentation du réel : ce que nous regardons, est-ce encore la réalité dont parlait André Bazin, ou bien un réel augmenté qui modifie nos schémas de représentation? Mais, pour en revenir au propos écologique, si l’on songe que ce film a pu s’adresser à plus de dix millions de spectateurs en France, il est possible de considérer que ce propos suggéré et non assené est bien plus efficace que toutes les démonstrations des partis se réclamant de cette sensibilité. Lorsque l’on voit Pandora menacée et envahie par Ceux qui viennent du ciel (soit les hommes), il s’avère impossible de ne pas dresser spontanément un parallèle avec ce que les hommes ont déjà fait de notre planète.
Aux Golden Globes, tout comme plus tard aux Oscars 2023, Spielberg et Cameron se sont affrontés avec deux très grands films, The Fabelmans et Avatar : la voie de l’eau. Il ne fait aucun doute que, comme aux Golden Globes, Spielberg l’emportera sur son collègue, aux Oscars. De la reconnaissance des Oscars, James Cameron n’en a plus véritablement besoin, ayant déjà atteint le sommet en 1998 (Titanic demeure d’ailleurs le film le plus récompensé des Oscars). Toutefois, Spielberg représente avec son film un point d’achèvement du cinéma classique, un chef-d’oeuvre du cinéma de papa, à l’ancienne, complètement autocentré et fonctionnant de manière autarcique et narcissique, célébrant sa propre oeuvre et son propre génie de metteur en scène, sous couvert d’honorer le cinéma en général. Cameron, au contraire, se tourne vers le cinéma de demain, vers l’avenir et l’extérieur, vers le monde, notre monde et envoie à travers ses images un avertissement aux spectateurs, afin d’essayer de sauver ce monde, avant l’extinction finale. Lequel des deux est le plus important? Le public américain a déjà tranché, renvoyant Steven Spielberg à ses obsessions et son autocélébration par un échec public cinglant, et acclamant James Cameron par un succès sans précédent et qui a d’autant plus de valeur qu’il survient après la pandémie et le confinement qui ont occasionné des effets désastreux sur la fréquentation des salles. Répétons la question : lequel des deux est le plus important?