Les Chroniques de Darko : Simon de la montaña : un regard sur la marginalité

Federico Luis, le réalisateur, était nommé pour la Caméra d’Or au festival de Cannes 2024. Présenté en avant-première dans la perspective du Festival du cinéma d’Amérique Latine qui se déroule à Biarritz, le film ne sortira dans les salles françaises que le 26 mars 2025. Il nous présente Simon, un jeune homme de 21 ans que rien ne distingue des autres si ce n’est qu’il est affecté de certains tics. A l’orée de l’âge adulte, Simon s’est depuis peu rapproché, via son ami tout récent Pehuen, d’un groupe de jeunes handicapés mentaux avec lesquels il fraie au sein de leur association. Mais Simon n’a pas de certificat de handicap et n’est pas censé participer à leurs activités. Le directeur du groupe enjoint donc Simon de l’obtenir par la voie légale. Pehuen se dit prêt à l’y aider. En effet, il connaît les réponses qu’il faut donner au psychiatre pour « réussir » l’évaluation. Simon vit chez sa mère en compagnie de son beau-père qu’il aide dans son métier de déménageur.

Alertée par le comportement de Simon, sa mère s’inquiète jusqu’à se mettre en colère avant de le prendre dans ses bras. Rôle complexe d’une mère aimante qui veut en même temps le meilleur pour son fils. Le désir de normalisation est au centre de la confrontation qui oppose Simon au monde adulte. Vexé par le reproche de son beau-père qui lui enjoint de réintégrer la camionnette suite à une maladresse de sa part, Simon s’enfuit de chez le client au volant de cette dernière, symboliquement l’outil de travail qui est censé lui permettre son intégration. Et il en fait un usage détourné, pour ainsi dire revendicatif, en emmenant ses camarades de jeu de l’institution en virée, que l’on voit alors s’extasier pareils à des punks déjantés. Simon n’est pas si différent de nous, qui vit de ce sentiment de liberté qui le pousse à envoyer valser les contraintes du monde corseté de l’âge adulte pour re-tomber en enfance et dans ses joies innocentes.

Le désir de normalisation est au centre de la confrontation qui oppose Simon au monde adulte.

De la même façon, Simon semble découvrir le goût d’une existence libre, débarrassée des préjugés. Tel un enfant, il expérimente les choses, prêt à partager le traitement médicamenteux de Pehuen pour voir ce que ça fait. Il fait aussi connaissance avec une des filles de l’institution, qu’il emmène chez lui, au grand désarroi de sa mère, avant de la sauver de la noyade, et de s’initier à l’amour avec elle. Un amour bien innocent cependant qui ne dépasse pas le cadre de la relation sentimentale pure. Le film est ainsi une ode à l’innocence retrouvée, à l’enfance et à ses joies désordonnées. Simon fait des bulles dans l’eau. Simon finit la bouteille de soda avant de se mettre à roter ostensiblement pour défier son beau-père. Simon se fait passer pour un accompagnant de personne handicapée pour pouvoir entrer plus facilement et sans payer au cinéma. Comportement qu’on pourrait estimer digne de celui d’un adolescent en butte avec l’autorité du monde adulte.

Le beau-père de Simon, le directeur de l’institution spécialisée, le caissier du cinéma, ne sont que des obstacles au sentiment de liberté qui grandit dans le cœur de Simon. Le monde ne semble pas avoir été fait pour lui comme il ne l’est pas pour les rebelles à l’ordre établi dont son personnage paraît être le symbole vivant. Le film touche par la pudeur et la dignité avec laquelle il traite ses personnages. La représentation du monde des handicapés échappe ainsi au pathos auquel on pourrait s’attendre : les pensionnaires de l’institution nous sont montrés pleins de vitalité et capables d’une vie aboutie jusque dans ses aspects sexuels – la scène où Pehuen fait l’amour avec une fille dans les toilettes pour filles. A aucun moment, nous ne nous sentons en droit de les plaindre. Et c’est bien là une des forces du film de nous montrer une vie parallèle, et par là étrange, au monde normal sans jugement, selon un point de vue imprégné de l’empathie qu’il faut.