Habitué des grands festivals européens où il triomphe – Palme d’or à Cannes pour ce film mais aussi Lion d’or à la Mostra de Venise en 2000 pour Le Cercle ou Ours d’or à la Berlinale en 2015 pour Taxi Téhéran – Jafar Panahi l’est aussi que ses films soient interdits par la censure dans son pays. Figure majeure de la nouvelle vague iranienne, ancien assistant-réalisateur de Abbas Kiarostami, son cinéma se veut revendicatif et épris d’une liberté qu’il apprécie d’autant plus à sa juste valeur que lui-même a été condamné plusieurs fois à la prison pour propagande contre le régime ou pour avoir défendu tout simplement des manifestants – ce qui revient pour le régime iranien à la même chose – allant jusqu’à faire une grève de la faim en 2023 pour protester contre ses conditions de détention. Il sait donc de quoi il parle. En effet, le sujet du film est centré autour du personnage d’un tortionnaire du gouvernement que retrouve tout à fait par hasard l’une de ses victimes, un certain Vahid qui décide alors de l’enlever pour l’enterrer vivant.
Mais Vahid a un doute sur l’identité de l’homme et va demander l’aide de ses camarades de détention pour être sûr et certain qu’il a affaire à la bonne personne. Le bourreau a une particularité physique puisqu’il possède une prothèse à la place de la jambe droite mais cela ne suffit pas pour l’identifier formellement. C’est ainsi qu’une photographe, un couple de mariés et un autre homme appelé Hamid vont accompagner Vahid dans ses pérégrinations à travers la ville pour trouver la vérité. L’homme va-t-il enfin avouer être le fameux Eghbal? L’enlèvement se révèle être un prétexte à un dialogue sur les conditions de vie au sein d’un régime répressif comme l’est la République islamique d’Iran et aux déchirements qui vont se faire jour entre les compagnons de souffrance et de misère, les uns voulant attendre d’être sûrs de leur coup, d’autres réclamant vengeance tout de suite au risque de se tromper.
Le film apparaît donc bien comme un thriller mystérieux où l’on ne connaîtra l’identité de l’homme qu’à la fin du long-métrage.
Le film dresse un réquisitoire contre le régime iranien exploitant la religion comme justification dernière de la répression et de la torture, faisant preuve d’une extrême cruauté à l’encontre des citoyens manifestant un peu trop bruyamment leur mécontentement – Vahid et ses compagnons ont été raflés à l’occasion d’une manifestation mettant en jeu un retard de salaires – et ligotant la liberté d’expression – celle du cinéaste et citoyen Jafar Panahi entre autres. Un plaidoyer quelque peu formel pour les principes des droits de l’homme qui prend parfois l’aspect d’un exercice scolaire. Tandis que se pose la question morale de savoir si tuer de sang-froid leur détenu ne les ramène pas à un état sauvage qui est celui des bourreaux du régime qu’ils condamnent. les membres du groupe s’entredéchirent pour savoir quelle est la meilleure solution.
Le film apparaît donc bien comme un thriller mystérieux où l’on ne connaîtra l’identité de l’homme qu’à la fin du long-métrage. L’acte de vengeance est sans cesse repoussé par les évènements, notamment lorsque les personnages tombent sur un couple de policiers qui acceptent de fermer les yeux sans savoir exactement ce qu’il se passe en échange d’un bakchich, le réalisateur dénonçant par l’image le niveau de corruption auquel se sont élevées les forces de l’ordre. Puis une panne d’essence les oblige à pousser la camionnette pour qu’elle avance en plein trafic, la mariée toujours engoncée dans sa robe de cérémonie, image qui apparaît à l’écran comme quelque peu loufoque. Quelques notes d’humour traversent ainsi le film, en désamorçant temporairement la tension. L’humanité pleine de contradictions des personnages est savamment dépeinte et l’on est soi-même déchiré sur la solution à donner au drame qui se déroule devant nos yeux. Cependant que la menace continue de peser sur les Iraniens trop épris de liberté.