Les Chroniques de Darko – Retour sur La Pampa : un moment crucial dans la vie d’un jeune homme filmée avec sensibilité

En sélection dans plusieurs catégories au Festival de Cannes 2024, le film n’a pas obtenu de récompense. Il l’aurait pourtant mérité tant le film est dense, trépidant et sensible dans sa manière d’aborder différents sujets. C’est le premier long-métrage de son réalisateur pour le cinéma, qui s’est illustré d’abord par des séries pour la télévision comme Baron Noir ou Oussekine (2022) où déjà l’acteur Sayyid El Alami jouait le rôle-titre. On le retrouve ici dans le rôle de Willy, un jeune homme de 17 ans qui opère comme mécanicien de son ami Jojo, champion de moto-cross prometteur sous la férule de son père David, prêt à tout pour emmener son fils à la victoire. La Pampa c’est le nom donné au circuit de moto-cross sur lequel s’entraîne Jojo. Ici, tout le monde se connaît et tout le monde est derrière Jojo. Il faut dire qu’on est dans un petit village de campagne et qu’il faut prendre le train pour accéder à la ville d’Angers, qui est la plus proche grosse ville du lieu où se déroule l’action.

Jojo et Willy se promettent d’ailleurs de bientôt quitter leur trou pour aller voir ailleurs. Mais il y a la compétition à laquelle est attaché comme un fou David qui ne vit qu’à travers les exploits de son fils. Damien Bonnard, qui joue le rôle de David, est inquiétant avec le regard halluciné qu’il porte sur le monde qui l’entoure, un rôle de névrosé qui rappelle dans son jeu celui de psychotique qu’il abordait dans Les intranquilles en 2021, le film de Joachim Lafosse. Mais Willy découvre le secret de Jojo qui entretient une relation avec Teddy, un membre de l’équipe, par ailleurs marié. Cela ne pose pas de problème à Willy qui lui reproche seulement de ne pas le lui avoir dit avant. Mais quand la femme de Teddy découvre le pot-aux-roses et transfère une vidéo de Jojo en pleine action sur les réseaux sociaux, tout est chamboulé.

Car le film s’apparente à un récit d’apprentissage. En avançant dans le monde Willy va en apprendre encore plus sur lui-même.

Et la petite ville de province d’agir comme un milieu oppressant où l’homophobie se fait jour. Et malgré le soutien de Willy, Jojo, harcelé par les jeunes de son âge et rejeté même par son père ne semble plus avoir d’issue. Mais le film est plutôt centré sur le personnage de Willy qui prend toute la place, laissant vivre pour autant les personnages secondaires autour de lui. Car le film s’apparente à un récit d’apprentissage. En avançant dans le monde Willy va en apprendre encore plus sur lui-même. Le personnage est sur plusieurs fronts. Il vit une période transitoire de sa vie. Il est d’abord sur le point de passer son bac, étape qui doit le mener vers la vie universitaire et la possibilité enfin de quitter le petit village fermé qui l’a vu naître. Il doit aussi faire le deuil de son père, d’où plusieurs scènes de dispute avec sa mère qui veut vendre la maison pour emménager ailleurs.

C’est aussi son amitié avec Jojo qui est en jeu dans cette histoire. Enfin, une histoire d’amour naissante avec Marina, déjà étudiante à Angers et soulignant par contraste l’esprit mesquin du petit village de campagne où elle passe quelques vacances est l’élément extérieur au cadre habituel de l’action. Elle est un motif d’espoir, un point de fuite pour le jeune Willy. Mis au défi sur différents points, le personnage de Willy doit faire le point sur sa vie et sur ce qu’il veut vraiment. Sur le degré d’importance qu’il doit accorder à chaque chose et sur ce qu’il doit lâcher afin de s’alléger dans le voyage vers l’âge adulte qui l’attend. La métaphore de l’Apocalypse qui apparaît comme par inadvertance dans le film, relié à l’histoire de Marina, est la bienvenue: elle annonce la venue d’un monde nouveau, meilleur comme le dit lui-même Willy. Un film rythmé comme il le faut, où les scènes d’action – les chevauchées à moto-cross essentiellement – sont filmées de façon spectaculaire. Un film poignant, sensible et parfaitement maîtrisé où le jeune Sayyd El Alami, que l’on avait trouvé formidable dans Leurs enfants après eux, récidive ici en se montrant à nouveau éblouissant de talent. Un premier film réussi.