Les Chroniques de Darko : retour sur L’Affaire Nevenka : la mécanique infernale

L’Affaire Nevenka est inspirée de faits réels. En effet, Nevenka Fernandez Garcia, dotée d’une solide formation universitaire passée à Madrid, est élue conseillère municipale aux finances de la ville espagnole de Ponferrada (en Castille-et-Leon) à l’âge de 25 ans en 1999, jusqu’en 2000 où elle démissionnera de son poste, sous le mandat du maire Ismael Alvarez du Parti Populaire – parti fondé en 1989 par d’anciens franquistes – dont elle est l’adjointe. Son histoire est de notoriété publique et ses conclusions sont connues. Ce n’est donc pas dans l’attente angoissée de la fin de l’histoire que se situe le spectateur mais plutôt dans l’appréhension du processus psychologique complexe qui amène un prédateur sexuel à tourner autour de sa proie pour s’en accaparer, et inversement de celui de sa victime qui doit traverser bien des étapes, comme autant de paliers de souffrance, avant de s’en libérer.

Nevenka apparaît au début du film comme une étudiante naïve et innocente qui, malgré les avertissements de ses parents, finit par accepter le poste qui lui est proposé. Un poste d’autant plus convoité que le maire de la ville semble bénéficier du soutien indéfectible de ses habitants auxquels il se présente comme une sorte de patriarche, serrant des mains, appelant chacun par son prénom, affichant un sourire radieux et offrant charitablement du raisin à tous. Humaniste à l’entendre, il confie ne pas s’intéresser tant au parti qu’aux gens et à la ville qu’il entend développer à la manière d’un grand entrepreneur auquel il se compare. Mais c’est un autre visage qu’il offre au conseil municipal ou au milieu de ses associés, agissant tel un despote qui coupe la parole à ses interlocuteurs ou esquive les sujets délicats par une fin de non-recevoir. Sans parler du fait qu’il dispose d’un réseau politico-financier au plus haut niveau de l’Etat, ayant été élu sénateur de 1993 à 1996. Ce déséquilibre souligne la mise en infériorité de Nevenka pourtant chaleureusement accueillie par Ismael dans un premier temps.

Emule de Ken Loach avec lequel elle a travaillé sur Land and Freedom, Iciar Bollain s’attache à retracer la vérité historique des faits jusque dans le moindre de ses détails.

Ils s’engagent même dans une relation sexuelle sans lendemain assez rapidement. Mais dès lors que cette dernière décide d’y mettre fin, Ismael le prend très mal et décide de la harceler aussi bien physiquement qu’au travail, lui adressant des messages innombrables via son téléphone portable, des notes écrites, et l’agressant même dans son bureau – épisode touchant à la confusion la plus extrême entre vie privée et vie sociale. Prétextant que son travail l’oblige à être disponible 24h sur 24, il ne cesse de l’appeler tous les jours, de réclamer sans cesse sa présence, adoptant tantôt l’attitude de celui qui implore son aimée, tantôt l’humiliant en la renvoyant à sa supposée frustration et à sa froideur, et allant jusqu’à l’insulter franchement.

Mais c’est surtout dans sa manière de retracer le parcours de Nevenka à travers cette affaire que la réalisatrice Iciar Bollain excelle, parallèlement au travail magnifique de son actrice principale Mireia Oriol – capable de passer d’un état à un autre avec aisance et facilité – passant du sentiment de culpabilité que souvent les victimes développent et que ses parents ne manquent pas de nourrir à son encontre, à l’empathie pour son bourreau qui lui demande une première fois de lui pardonner, au désarroi lorsqu’elle se sent paralysée et prise au piège, à la prostration à partir du moment où la névrose qu’elle sent poindre en elle développe ses effets, jusqu’à la révolte grâce au soutien d’abord d’une femme politique du parti adverse puis de son avocat qui la poussent à aller jusque devant un tribunal et à porter plainte, malgré les craintes qu’elle peut et doit redouter pour elle et son entourage. Emule de Ken Loach avec lequel elle a travaillé sur Land and Freedom, Iciar Bollain s’attache à retracer la vérité historique des faits jusque dans le moindre de ses détails. Ainsi, si Nevenka gagne son procès, la presse médiatique se déchaînera contre elle et elle pâtira d’une opinion populaire défavorable. Quant à Ismael, s’il perd tous ses mandats, il finira par revenir en politique par la petite porte. Nevenka de son côté ne retrouvera plus jamais de travail en Espagne et sera obligée de s’expatrier en Irlande. Invitée spéciale du Festival International du film de Saint-Sebastien 2024, elle reçoit en tant que figure iconique de la lutte pour les droits des femmes en politique une ovation particulièrement remarquée des festivaliers. C’est l’un des premiers cas médiatiques du mouvement MeToo en Espagne.