Les chroniques de Darko: retour sur Le Royaume : une idylle sur fond de vendetta

C’est par une scène de chasse que s’ouvre le film. Les hommes, accompagnés d’une jeune adolescente de 15 ans, portent le corps d’un sanglier mort pour le suspendre à des crochets et lui retirer les entrailles. C’est Lesia qui s’en occupe, la jeune fille en question, et l’on se dit dès lors que cette gamine n’a pas froid aux yeux. C’est en effet à une partie de chasse que l’on a affaire tout au long du film, ou plus exactement à une traque dont est l’objet le père de Lesia, un chef de clan corse. Et c’est pour cette raison que cette dernière réside chez sa tante afin d’être éloignée du danger que représentent les affaires de son père. Elle y vit sa vie d’adolescente amoureuse d’un petit ami qu’elle retrouve à l’occasion au cours d’une fête. Jusqu’à ce qu’elle soit amenée sans être prévenue dans la villa où réside son père qui désire la voir et où elle est censée rester quelques jours.

C’est petit à petit que l’on rentre dans l’intimité du clan qui entoure son chef, à travers des bribes de conversation que surprend Lesia ou bien à travers le poste de télévision qui relate les affaires de règlements de compte entre clans, égrenant les morts dans l’entourage de Joseph – le père et chef de clan – un homme politique d’abord, puis le parrain de Lesia ensuite, et le danger semble se rapprocher. La particularité du film est de nous faire voir ce monde du banditisme corse à travers le regard innocent d’une jeune fille décidément amoureuse comme peut l’être une enfant de son père. Un regard subjectif qui rend à cet homme dangereux qu’est Joseph toute sa dignité de père affectueux et tendre. Et les scènes d’intimité et de transmission – scènes de pêche et de chasse – entre les deux êtres jalonnent le film sans pour autant déroger aux règles du thriller.

La particularité du film est de nous faire voir ce monde du banditisme corse à travers le regard innocent d’une jeune fille décidément amoureuse comme peut l’être une enfant de son père

Nous sommes ainsi tenus en haleine par la traque que subit Joseph, obligé de changer de lieu de résidence à toute vitesse pour éviter d’être repéré, campant dans le maquis avec ses hommes, craignant d’être suivi en voiture par ses ennemis, et toujours accompagné de son arme. Mais le danger est latent, caché de l’objectif de la caméra – puissance effrayante du hors-champ – même car à aucun moment celle-ci ne se penche sur les agissements du camp adverse et nous ne savons rien de ce qui se trame de son côté. Et peu à peu nous prenons le parti de Joseph, appréhendant ce qui peut arriver à cet homme en apparence si tranquille, si affectueux avec sa fille. Parti pris tout à fait immoral si l’on veut bien tout considérer, mais le cinéma est-il une affaire de morale? Nous aurions tendance à croire que non.

Dans une longue confidence faite par Joseph à sa fille, lorsque tous deux semblent prendre quelques jours de répit dans leur cavale au sein d’un camping de la côte, celui-ci rappelle à ses souvenirs la mort de son père assassiné alors qu’il n’était encore qu’adolescent et son désir effréné de vengeance qui l’a mené à devenir ce qu’il est. La vie de Joseph semble dès lors être soumise à une sorte de fatalité guidée par la vendetta. Et le film nous montre cette dernière dans tout son développement. Un développement sans fin qui se poursuit au-delà de la durée du film. Ainsi, celui-ci est enveloppé d’une atmosphère mystique de loi qui transcende les individus eux-mêmes. La musique souligne d’ailleurs ce climat qui détermine les gestes de chacun. Lesia elle-même ne semble pas se poser de questions d’ordre moral et obéit elle aussi en quelque sorte à la loi du milieu qui veut que les choses se passent ainsi. Seul un regret peut être, celui d’un Eden perdu au Venezuela lorsqu’elle était enfant et que sa mère vivait encore parmi eux au milieu des singes et des oiseaux de paradis, et qu’elle rêverait de retrouver. Mais c’est peine perdue et le milieu ne semble laisser personne sortir de là vivant. Pour son premier long-métrage Julien Colonna signe là une œuvre à la fois enchanteresse et terrible où la mort plane au-dessus du couple d’un père et de sa fille qui s’aiment.