Les chroniques de Darko – L’agent secret : une traque haletante

Le film a remporté le prix du meilleur réalisateur pour Kleber Mendonça Filho et celui du meilleur acteur pour Wagner Moura au Festival International du film de Cannes 2025. Un homme d’une quarantaine d’années fait la route en coccinelle pour arriver à Recife au Brésil au sein d’une résidence administrée par une vieille femme affable et habitée par des réfugiés. Ici, tout le monde fuit quelque chose ou quelqu’un comme ce couple d’Angolais qui ont fui la guerre civile qui sévit dans leur pays. Ainsi, Marcelo, comme il se fait appeler, fuit bien lui aussi quelque chose mais le début du film ne nous en dit pas plus. Le caractère et le passé du personnage principal se construisent un peu comme un puzzle, chaque séquence apportant sa pierre à l’édifice, auréolant celui-ci d’un mystère qui peu à peu se dévoile. Nous apprenons qu’il est venu récupérer son fils laissé à la garde de son beau-père, que sa femme est morte on ne sait dans quelles conditions et qu’il souhaite recommencer ainsi une vie déjà bien accidentée.

L’action se situe en 1977, en pleine dictature des généraux, ce qui n’est pas anodin. Le film retranscrit bien cette atmosphère d’inquiétude et de terreur sourde qui transpire de la pellicule. Au cours d’une séquence onirique, il est fait référence aux rafles de l’armée effectuées au sein de personnes ayant des rapports sexuels – pour certains homosexuels – dans un jardin public. La junte militaire veille, emprisonne, torture ou même assassine. Le commissaire Euclides est représentatif de cette ambiance délétère et lui et son acolyte semblent avoir un rapport avec le cadavre de l’homme dont la jambe a été retrouvée coincée entre les mâchoires d’un requin. Encore un corps jeté à l’eau sans doute : Euclides a ses secrets. Dans le même temps, un tueur à gages et son associé sont recrutés par un industriel véreux afin de faire disparaître Marcelo. L’étau se resserre autour de ce dernier qui, avec l’aide d’une organisation secrète, doit maintenant fuir le pays s’il veut rester en vie.

Le rythme tendu du montage souligne le climat d’angoisse dans lequel vit Marcelo et la menace qui pèse en continu sur son existence.

Alors que jusque-là son travail au service des identifications et son changement de nom lui permettaient de continuer sa vie incognito, le rythme tendu du montage souligne le climat d’angoisse dans lequel vit Marcelo et la menace qui pèse en continu sur son existence. Seule la résidence semble être un havre de paix – avec son ambiance familiale à laquelle contribue l’adolescent appelé Clovis – en dehors duquel tout peut arriver. D’autant plus que nous sommes en pleine période de Carnaval qui génère des morts – près d’une centaine depuis son début. Un de plus ou de moins se verra donc à peine. Le réalisateur ne cache rien des conséquences d’une violence atmosphérique qui règne malgré les airs de fête de la ville de Recife. Et la peur que nous ressentons est la même que celle de l’enfant – le fils de Marcelo – face à l’affiche particulièrement réussie du film Les Dents de la Mer (1975) de Steven Spielberg qu’il reproduit obsessionnellement en la dessinant.

Le film multiplie en effet les références à l’époque, cinématographiques mais aussi technologiques : les bandes magnétiques sur lesquelles tout est enregistré et grâce auxquelles deux jeunes femmes aujourd’hui en 2025 retracent le parcours de Marcelo. Elles sont une figuration du spectateur qui suit avec elles les relations des personnages entre eux et tentent de dénouer l’affaire. Ces derniers sont truculents, comme Euclides mais aussi comme l’assassin au visage émacié en charge d’éliminer Marcelo ou le tueur à gages, ancien officier de l’armée reconverti aux traits taillés à la serpe. Et que dire de l’ancien soldat allemand joué par le très grand – et regretté – Udo Kier. Mais la couleur outrée qui leur est attribuée est en parfaite harmonie avec les masques fantastiques que portent les participants au Carnaval et avec l’ambiance électrique de ce dernier. Un film d’une très haute qualité, parfaitement maîtrisé et interprété.