Les chroniques de Darko – Je suis toujours là : Le courage d’une femme face à la dictature

Voilà douze ans que Walter Salles n’avait pas réalisé de film! Lui qui avait replacé son pays sur la carte du cinéma mondial avec le très beau et très émouvant Central do Brasil en 1998 qui s’était vu décerner l’Ours d’Or à Berlin. Il inaugurait ainsi une nouvelle vague de films brésiliens par une génération de réalisateurs doués dont Fernando Meirelles dont il produisit le film La Cité de Dieu en 2002. Cette fois-ci, Walter Salles décide de revisiter l’histoire de son pays en nous ramenant aux années de la dictature militaire brésilienne qui commença en 1964 pour ne s’achever que vingt ans plus tard en 1985. Et il met en avant le portrait de l’un de ses réfractaires, un ancien député travailliste exilé puis revenu dans son pays pour y exercer le métier d’ingénieur, Rubens Paiva.

Nous sommes en 1970 et la première partie du film nous brosse le portrait de sa famille, vivant à Rio dans une résidence faisant face à la mer. Famille unie par l’amour réciproque de ses membres, celui de Ruben et de son épouse Eunice, et des parents pour leurs enfants dont le petit Marcelo dont le film est l’adaptation du livre publié en 2015: Ainda Sou Aqui. Le domicile apparaît comme un lieu de regroupement des amis et proches de la famille. On y danse, on y rit et on y mange tous ensemble tandis que les hommes s’isolent pour parler de choses sérieuses. Et c’est d’abord par l’entremise de la télévision que se fait jour la réalité du pays. Un ambassadeur enlevé en échange duquel on demande la libération de prisonniers politiques. Puis Veroca, l’aînée de la famille se fait arrêter par la police lors d’un barrage routier mis en place par la police militaire à la recherche de suspects – la brutalité des policiers s’y manifeste à travers un climat d’angoisse qui prend à la gorge. Un hélicoptère survole la plage, des camions où sont entassés des militaires passent sur la route. La menace se fait de plus en plus présente, de plus en plus directe.

Un portrait de femme fière et courageuse, sans excès mais digne, un rôle dans lequel excelle l’actrice Fernanda Torres.

C’est ainsi progressivement et par petites touches que le danger se rapproche de la famille qui, pourtant, ne se doute encore de rien. Nous sortons à peine des années 1960 et un vent de liberté – sexuelle : la chanson de Gainsbourg, mais plus général encore de contestation – souffle de l’Occident moderne sur cette famille bourgeoise et cultivée – allusions directes et/ou indirectes au film Blow-up d’Antonioni, à La Chinoise de Godard ou encore à John Lennon – et se mêle à l’atmosphère de dictature militaire du pays, créant un contraste saisissant. Le climat d’insouciance qui prédomine est cependant brisé et rompu par l’apparition d’hommes se réclamant de la police et qui décident d’emmener Rubens au poste pour une soi-disant déposition. Il n’en reviendra jamais. Puis c’est au tour d’Eunice et de sa fille d’être arrêtés, conduites dans un endroit secret, soumises à un interrogatoire serré et enfermées pendant plusieurs jours. Il faut dire que les libertés civiles ayant été supprimées, un code de procédure pénale militaire fut créé qui permettait à l’armée brésilienne et à la police militaire d’arrêter et d’emprisonner des personnes considérées comme suspectes, en plus de rendre impossible tout contrôle judiciaire.

C’est à travers le regard d’Eunice que nous voyons les évènements. Sa lutte pour libérer son mari d’abord, mais aussi pour découvrir la vérité. Une lutte tenace, de tous les instants, pour sauvegarder sa famille, tenir son foyer soudé tout en enquêtant sur la disparition de Rubens dont les journaux occidentaux se font l’écho. Et nous passons de l’atmosphère glaciale de la caserne où elle est enfermée – interrogatoire dans le noir sous la lumière agressive d’une lampe de bureau, couleur bleutée froide de sa cellule, cris des prisonniers qu’on torture – à l’extérieur et à l’air libre qu’elle retrouve dans le seul but de mener son combat. Un combat qu’elle mènera toute sa vie, obtenant une licence d’avocat et militant pour les droits des autochtones sur le territoire de l’Amazonie. Un portrait de femme fière et courageuse, sans excès mais digne, un rôle dans lequel excelle l’actrice Fernanda Torres. Un vibrant plaidoyer pour une liberté chèrement acquise. Un film tout en retenue, suggérant plus encore qu’il ne montre les choses, rendant la réalité d’autant plus terrifiante.