Les Chroniques d’Ana : Robuste : Miroir, mon beau miroir

Aïssa, jeune black de banlieue (on la voit du haut de sa tour HLM avec son frère intello et un aîné) s’occupe de sécurité, Georges, vieux blanc solitaire est acteur (depuis sa villa aux objets et au mobilier classieux) ; elle, au corps solide et championne de lutte, sera sa garde rapprochée (pourquoi ?), à lui qui ne fait que manger ou prendre des risques à moto et lui fera découvrir « son » monde… Corps à corps, mental à mental, c’est ici le récit d’une rencontre et d’une cohabitation entre gens qui n’auraient pas forcément dû se croiser alors même qu’ils se ressemblent, quelque part, ici. Tour à tour chauffeur, protectrice, infirmière, nounou de cette tête de con capricieuse, colérique et dépressive, en réalité totalement flippée derrière ses airs blasés, Aïssa a du pain du la planche avec cet homme qui ne cesse de fuir : sans doute sa masse, sa corpulence, sa renommée prennent-elles trop d’espace, y compris en lui-même… étouffement. Aïssa a un amoureux quand Georges est seul (on voit une admiratrice), avec qui son corps vibre pendant qu’auprès de son patron, c’est un échange de tendresse qui se met peu à peu en route. Elle est une force tranquille et posée pendant qu’il s’agite et insulte tout le monde : mauvaise leçon d’éducation à laquelle la jeune fille assiste, elle pour qui la vie réelle n’est pas si rose et alors même qu’elle respecte son métier (d’homme), sa fonction et ceux qui l’emploient, vraie philanthropie versus fausse misanthropie.

Une assez belle image vient faire rayonner ces deux corps, et la musique originale (de BABX soit David Babin) ne prend pas le dessus, comme en témoigne la scène de l’aquarium lorsque les deux héros regardent les poissons des abysses, comme devant un écran de cinéma. C’est l’un des moments poétiques du film qui accorde aux deux personnages le temps d’un partage qui les dépasse, et au spectateur un instant d’éternité. Éternité : Gérard Depardieu vieillit, a fait récemment sa thalassothérapie avec Houellebecq (§), lui qui a tout réussi au point d’en être blasé comme l’acteur qu’il incarne dans le récit ne fait peut-être pas le « poids » vis-à-vis de la vigile, qui grandit et semble vouloir réussir, sans ennui, dans sa fonction d’assurer la sécurité. Sécurité : le terme n’est-il pas à prendre aux deux degrés, et n’est-ce pas Aïssa qui vient redonner à Georges une confiance perdue, par sa présence et la compréhension dont elle fait preuve, et qui viennent rassurer et calmer l’insatiable…

S’aimer ou se sentir aimé, comment – pour son cœur, pour son corps, pour son être tout entier ou l’image que l’on s’en fait –, c’est aussi ce que le film interroge : la scène qui réunit Aïssa et son amoureux Eddy dans un restaurant chinois est de ce point de vue à la fois drôle et mélancolique : c’est que Georges ne peut plus vivre sans elle (!, et alors qu’il les a rejoints sans prévenir, il insiste auprès du garçon pour savoir s’il aime sa fiancée. Honte, gêne, impudeur, Aïssa préfèrera ne pas ça.voir car elle préfère aussi ne pas passer seule ses nuits. On peut aussi se demander jusqu’à quel point le film n’est pas une métaphore des contraintes souvent invisibles du métier d’acteur (et d’actrice), de la solitude qui en découle, des faux privilèges qu’ils en retirent… et qui n’intéressent plus Georges.

Le film possède des longueurs, le récit est parfois répétitif à l’image de l’activité professionnelle même du personnage d’Aïssa quand le scénario reste plutôt classique surtout lorsqu’il est question de la vie respective des personnages (sentimentale ou sportive pour Aïssa notamment avec le choix de la lutte), caricature… Pourtant il est des moments, lorsque les personnages sont vus ensemble (et non en champ-contre champ) où l’image fait corps, devient corps, par eux alliés. Car lorsque l’opulence oppose les personnages, c’est bien la corpulence qui les rapproche, et montre leur relation au vide et au plein : grand corps (malade ?) dans l’espace (et dans l’espace de l’image) ou comment on tente de l’effacer, par le silence ou la parole. De ce point de vue, les dialogues, souvent incisifs, viennent témoigner de la fragilité des personnages, en écho avec les chœurs de la bande son. Écho, mise en abyme et en miroir, drôle et pathétique à la fois, le récit offre à voir le transport entre désenchantement et enchantement, respectivement pour les deux personnages, et pour nous, sans la possibilité d’oublier ce qu’est devenu Gérard Depardieu. Comme son personnage, qui prétend accepter ses rôles pour leur chèque, l’exprime « le cinéma ça rend con » mais ça peut rendre aussi confiant, confiance et clémence témoignées à la réalisatrice pour ce premier film… et peut-être en opposition avec celles qui finissent par manquer à Gégé…