Ça ne peut pas marcher avec tout le monde, et, même si Énorme était énormément drôle, ces Voyages en Italie, mise en abîme d’un mauvais film (de couple) dans un nouveau scénario de film (de Sophie Letourneur), ont été d’un énorme ennui pour moi.
Alors on voit bien où ça veut en venir, où ça ne veut pas en finir, le travail sur l’image et ses références, la volonté à faire de petits riens quelque chose, quelque image, là pour nous rappeler qu’on existe quand même, et la vie, et le couple, et l’enfant, la responsabilité familiale, la garde, et l’habitude, et la lassitude, et la naïveté (ou l’inconscience) de vouloir (tout) ignorer ou se le laisser croire, le déplaisir, et le sexe ou son absence, et après…? Sophie Letourneur n’en veut-elle pas trop à partager une triple expérience, celle du couple, celle du film en train de se faire, celle de sa propre vie ?
Partie d’une expérience personnelle, la cinéaste se met en scène elle-même, s’accompagne d’un conjoint (miroir du vrai père de son enfant à qui le film est dédié), en la personne de P.hilippe Katerine, personnage de l’intello de service, qui débat sur tout, est autant paranoïaque qu’hypocondriaque, n’ose rien même s’il veut qu’on aille dans son sens, tout en avouant que pour lui la relation c’est adapter à l’autre… Comme il s’adapte au fait d’être père et n’en a plus que pour leur criard de fils, Raoul. Waouh, fatigant.
Ensemble, ils ne tentent même plus de refaire le monde, ni leur couple, puisqu’au fond, c’est un voyage presque forcé – comme l’entorse à la cheville que se fera Jean-Philippe, à la veille du départ le révélera – qui sert d’enjeu au film, un voyage métaphorique de toutes leurs névroses, déplacées ailleurs. Ira ira pas, Espagne ou Italie, Aubrac ou reste ici, 30 minutes avant l’ellipse de l’arrivée en… Sicile, après avoir fait le tour de tous pour savoir où aller, après avoir cédé sur l’Italie, pour Lui. Mais peu importe, voyager à tout prix, aimer à tout prix, Sophie à tous prix…
À travers un geste de caméra qui ne lésine pas sur les effets, les plans, les champs contre-champs accentuant ce qui serait donné à voir (par nous, et qu’eux ne voient plus), à travers un récit fait d’ellipses et compartimenté entre l’ici et maintenant déceptif, l’ailleurs un temps qui reproduit l’avant pas tout à fait autrement, et la conception d’un film de ces mêmes vacances, le tout meurt dans l’œuf à force de détourner, via le dialogue et les situations (peut-être cocasses mais pas un brin drôles), l’expérience de cinéma dans l’expérience de vie, et réciproquement. À qui se plaint de ses règles, de la chaleur, des moustiques, du niveau de l’hôtel, de la fermeture des lieux de visites, des Italiens eux-mêmes tous des voleurs, des beaux-parents qui ne font pas le job à distance, de l’amour qui ne vient pas, du désir qui finira, ouf, 1h30 après, à éclore… À gros coups de sabots, la caméra se penche sur le pénis sculpté d’une statue immense sur laquelle s’appuie Sophie mais dont le bronze est brûlant, sur une pancarte où est écrit « bibite », fait entrer Sophie dans un trou avant qu’elle ne s’esclaffe « prends-moi par derrière » juste parce qu’elle a le vertige, laisse entrevoir le sexe nu sous les draps de Jean-Philippe, montre l’explosion de Stromboli au moment sans doute d’une éjaculation… Waouh, grossier.
Et ça parle, entre l’étourdie et le râleur, celle qui a l’œuf quand le ventre de l’autre est gonflé à cause de deux tiramisus qu’il s’est empiffrés, d’ailleurs on le voit trop s’empiffrer pour combler un manque… inavouable, inavoué. Ce seront feux à trois sourires au début et à la fin du film qui se posent sur le visage de l’homme lorsque Sophie le gratifie, ou sur son visage lorsqu’elle-même l’est, attirée par la tchatche de divers Italiens qui ont remarqué ses jambes nues sous sa jupe courte, histoire de montrer si et comment on peut encore un peu (s’) exister. Au fond, ce sont ces quelques rares scènes – sur un scooter à Vulcano, au lit à Paris – montrant un rapprochement possible, qui sont belles, poétiques, étranges dans ces Riens du tout, et… trop fugaces.
De Stromboli à Voyage en Italie mais qu’est donc devenu Rosselini? À moins qu’une fois encore, le film reflète les effets du confinement : on peut bien voyager, on peut rester sans bouger, continuer de s’aimer et de s’illusionner. Cela ne se juge pas, et reflète peut-être ce qu’est exactement le cinéma, mais dommage, on aurait préféré contempler le plateau de l’Aubrac sans bouger, plutôt que d’assister à une autobiographie faussement simplifiée.