Les Chroniques d’Ana : retour sur TAR de Todd Field. Bella Tàr !

Bella Tàr !

On n’avait plus revu le cinéma de Todd Field depuis un long moment, et voilà qu’il vient nous dire ce qu’il a compris de la société, de ses évo- et circon.volutions… malgré son absence.

Film d’homme pour faire un (des) portrait de femme, qui diffuse toute une actualité dans son récit pris entre le sublime et le grotesque : film romantique au sens du XVIIIe siècle…

Lydia (Cate) en est l’héroïne, et son héroïne à elle, en plus de LA musique classique dans sa fonction de cheffe d’orchestre dans laquelle tout montre combien elle excelle, semble être ce pouvoir acquis (inné vu son talent, pas inné vu le milieu dont elle vient) : lutte des classes, des fonctions, focale sur le genre (féminin) et combien il ne se démarque pas de son homonyme masculin, le film nous fait assister à la grandeur et à la décadence d’une femme de pouvoir, comme il dresse le portrait de toutes celles qui la « suivent ». 2nd violon (sa femme), violoncelliste (une jeune recrue russe brillante et opportuniste), assistante chef d’orchestre (trop émotive et effacée), une enfant (métisse et martyrisée par ses copines allemandes à l’école) viennent remplacer les figures d’hommes, qui ont ici davantage besoin des femmes ou existent par elles, d’après ce que le film démontre (l’ami chef d’orchestre pour saisir le sens d’une partition, l’assistant chef d’orchestre qui se meut en politesse, le musicien du comité décisif, l’élève qui est trop techniciste et victime de son époque woke et réseaux sociaux).

Film étonnant par endroits car il se pose, dans un temps étiré, pour faire de son image le miroir (mon beau miroir) d’une métaphore : que sont les êtres devenus ? Rien de nouveau sous le soleil sauf que la figure d’exception a la toute-puissance des héros masculins qui ont traversé toute l’histoire du cinéma. C’est ainsi que l’on s’approche (si en plus on est une femme spectatrice) de ce que le monde (l’homme) a décidé pour Elle : lui accorder une place, qu’elle peut tout à fait perdre subitement, Elle, à cause d’abus, d’erreurs, de violences non maîtrisées (voire non assumées), soit exactement comme un homme, à l’exception peut- être de la solidarité (et de la protection) dont la société fait preuve à son égard depuis des lustres.

Film étonnant donc car il nous fait assister à la chute d’une Eve qui aurait mangé la pomme et conquis une liberté qui a un très grand prix : celui du respect de l’autre. Or ici, les « victimes » sont plutôt des femmes… Intéressant donc. Le tout à travers une œuvre froide, où les couleurs le sont autant, malgré l’alternance lumière/nuit selon que le personnage soit dans sa sphère publique (sa musique) ou privée (son appartement), selon qu’elle soit fixe mais en mouvement total (visage et corps) durant sa fonction, ou en mouvement et figée (de peur, d’enfermement, de névrose). Portrait d’une femme prise au piège de ce qu’elle est devenue, et dont la libido semble s’être noyée dans ce qu’elle a fabriqué [malgré les sous- entendus omniprésents de ses conquêtes, vengeances et désirs]. Un film à l’allure classique mais plutôt osé car il ose comparer, opposer, reconnaître qu’au fond il n’y a aucune différence entre les genres, et tenter d’en montrer la possibilité…

À la fois très belle et si laide (Lydia-Cate notamment), comme les autres seront si joviales et vulgaires, si effacées et si malignes, la femme chez Field est vue ici sous différentes coutures (comme en témoigne la scène chez le couturier des l’entrée dans le récit) et à travers des obsessions qui n’appartiennent pas qu’à elle. Vraiment pas mal..