Les Chroniques d’Ana : Red Rocket, le déclin du rêve américain

Mikey, le retour, c’est qu’il porte bien son nom ce loser ex star du porno, revenu de LA au Texas chez son ex-femme Lexi et sa belle-mère Lil, nu et cru on peut le dire… à l’aller comme au retour, film boucle. Et c’est ici non plus le rêve américain que l’on voit, mais le cauchemar de familles dont les enfants (sur le modèle des parents généralement) dealent, se prostituent, vendent des contrefaçons de drapeaux américains ou d’uniformes militaires. Ici, la vie se passe, sans aucune culpabilité notamment de la part de Mikey, depuis le temps passé entre des souvenirs de voisinage bon enfant et un présent qui l’est beaucoup… Misère.

L’ex-famille de Mikey Saber (l’excellent Simon Rex, ex-acteur dans le X Gay) se compose du duo mère acariâtre-fille (cette dernière aux faux airs de Patti Smith) : s’il revient à la maison, sorte de mobil home fait de briques et de broques, c’est à la dure. Tondre la pelouse, faire la vaisselle, participer au loyer, s’occuper du chien, cela sent la rancune mais les femmes en ont assez des frasques du gamin, et elles ont bien raison. Pas loin, une famille afro à la mère « courage » et baronne, Léondria, sa fille June et ses deux fils infantilisés, vivent de leurs deals, combine dans laquelle le beau gosse finira par entrer après avoir fait le tour des jobs, d’échec en échec à cause de son passé sulfureux et inquiétant pour l’Américain de base. Ses prix de la meilleure fellation ne lui sont d’aucune utilité pour « travailler ». Le jeune voisin, qui rappellera que Mikey avait été trouvé dans le lit de sa baby-sitter, passe son temps à briquer sa belle voiture rouge, sous le regard de son bourru de père, veuf, sans emploi. Le bar à Donuts est the place to be, fréquenté par les ouvriers de l’usine la plus proche, et dans lequel Mikey séduira une jeune rouquine à la maison rose, du nom de Strawberry, semble-t-il prête à tout, pour coucher avec le plus bel homme des environs et croire peut-être qu’avec lui, la vie sera meilleure, en plus de sa sexualité. Le tableau de la ville et de ses habitants est misérable, complété par des plans sur des raffineries de pétrole qui fument, des trains qui crissent, des gens qui jouent aux jeux vidéo dans le supermarché du coin, et Mikey, à vélo d’enfant et à chemise à carreau, dans un va-et-vient incessant pour subsister jusqu’à la saison prochaine…

Dans ce film qui commence dans un bus, Sean Baker nous montre un homme, la cinquantaine, obsédé par le sexe (au point de continuer à prendre du viagra sans avoir à tourner) et sa gloire perdue, qui se la raconte en ne faisant que mentir. À sa famille, à ses potes, à sa jeune dulcinée dont il se sert pour d’imaginaires heures de gloire, à lui-même. Il est bête et médiocre, cas aggravé par les gros plans sur son visage, sa manière de bouger, ses poses au lit, ses discours bas de gamme et souvent en monologue. Le gars a beau s’incruster partout, il est seul, il a beau faire le gentil, il est macho, il a beau laisser croire qu’il s’en sort, il s’enfonce. Le tableau des Américains avant l’élection de Trump, postés devant leur télé ou sur leur téléphone, n’est pas meilleur que le portrait de l’homme, à vous rendre nerveux. C’est que le rythme du début du récit, rendu par les images et une musique très forte est remplacé peu à peu par la performance de l’acteur, qui va d’un point à l’autre (et généralement tout le temps les mêmes), sans jamais susciter l’ennui ; mieux, on se demande ce qui pourra bien lui arriver, étant donné qu’il vit dans une illusion permanente. Les personnages secondaires ne sont pas laissés sur le bas chemin (une majorité de femmes au passage), et les scènes, multiples, sont créatrices d’un sentiment tour à tour comique et tragique quand ce n’est pas le pathétique impliqué par le comportement du héros qui prend le dessus [lorsqu’il fait le cacou avec le petit copain de Strawberry ou qu’elle apprend son ancien job tous deux sur un manège, lorsqu’il fait le malin lors de sa sortie de chambre, lorsqu’il fuit le conflit dans lequel son voisin est pris au supermarché].

En nous montrant des personnages déclassés, faits de croyances, ou des personnages prêts à commettre l’irréparable (on pense au jeune voisin qui crée un accident de voitures dramatique à cause du sursaut de Mikey, ou à Strawberry, qui démissionne et en phase de tout plaquer pour le suivre, sans aucune assurance sur son avenir, les deux scènes étant deux hors champs), le cinéaste fait aller son film du côté du politique en lui octroyant le côté bouffon qui lui est inhérent et grâce à Mikey. À tel point qu’il vient parfois apitoyer le spectateur lorsque le nouveau destin qu’il a savamment mis en place se renverse : vengeance de femmes.

Ainsi, entre cynisme et compassion, entre la grisâtre ambiance, les trous de donuts aux vermicelles de chocolat et les maisons roses, le film dégage un certain peps à montrer le déclin définitif d’une Amérique et de l’homme blanc de base, et, sans laisser le spectateur indifférent, décline finalement toute invitation au rêve. Comme en miroir de l’échec des vies, le film montre la réussite d’un certain cinéma qui ne se la joue pas, avec son titre évocateur et sa chienne de Sophie sur la pelouse verte.